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La nature même du recours collectif se prête difficilement à l'autorisation d'un recours basé sur la lésion subjective, puisque la situation des membres commande généralement une analyse individuelle. La situation est différente en ce qui a trait à la lésion objective, mais reste que la demande en autorisation doit alléguer des faits précis qui permettent d'en apprécier l'existence. C'est ce que souligne l'Honorable juge Martin F. Sheehan dans Gaudreault c. Brault & Martineau inc. (2024 QCCS 8).
Le Demandeur dans cette affaire recherche l'autorisation d'intenter un recours collectif contre les Défenderesses au nom de toutes les personnes ayant acheté une garantie prolongée ou un plan de protection de l’une des Défenderesses dont les obligations sont assumées par un tiers. Il allègue que lorsqu’elles vendent une garantie prolongée, les Défenderesses conservent une part importante du prix payé par le consommateur sans contrepartie, risque ou prestation de services faisant en sorte que la pratique serait lésionnaire au sens de l’article 8 de la LPC.
Le juge Sheehan souligne d'abord que l'objectif social du recours collectif ne change pas le fait qu'une demande d'autorisation qui ne satisfait pas aux critères édictés par le législateur ne devrait pas être accordée:
[15] Toutefois, les objectifs sociaux qui justifient l’action collective ne remplacent pas les conditions d’autorisation et il faut se garder d’autoriser une action collective qui ne les satisfait pas pour la simple raison que l’action rejoint ces objectifs. En effet, « s’il est vrai que l’action collective constitue un formidable outil d’accès à la justice, ceux qui sont appelés à s’en défendre ne devraient y être forcés qu’à l’encontre d’actions qui sont soutenables ».
Il ajoute ensuite qu'en raison de la nature même du recours collectif, la lésion subjective se prête difficile à un tel mécanisme. Il en est autrement de la lésion objective, quoique que celle-ci doit apparaître des faits précis allégués par le Demandeur:
[73] Des causes qui précèdent, le Tribunal retient que :
73.1. Le fardeau du demandeur au stade de l’autorisation est faible. Il n’a qu’à démontrer une cause défendable.
73.2. Les faits allégués dans la demande sont tenus pour avérés, pourvu que les allégations de fait soient suffisamment précises. Lorsque les allégations de faits sont vagues, générales ou imprécises, elles se rapprochent nécessairement davantage de l’opinion ou de l’hypothèse et elles peuvent donc difficilement être tenues pour avérées. Dans ce cas, elles doivent être accompagnées d’une certaine preuve afin d’établir une cause défendable.
73.3. La lésion subjective se prête mal à l’exercice d’une action collective puisque la situation des membres peut différer. Cependant, rien n’empêche un tel recours fondé sur la lésion objective.
73.4. La lésion objective exige : i) l’existence d’une disproportion; et ii) que cette disproportion soit considérable au point de léser gravement le consommateur. Ainsi, le tribunal doit faire une comparaison entre ce que le consommateur a payé pour le service et le coût pour le commerçant de fournir ce service.
73.5. Puisque la structure de coût du commerçant est rarement disponible au consommateur, une preuve indirecte est permise, mais elle doit exister. Des exemples de preuve indirecte retenus par les tribunaux incluent une comparaison des frais exigés par d’autres commerçants ou fournisseurs de services concurrentiels, une comparaison avec des frais chargés par le commerçant à d’autres clients pour des produits semblables, des rapports externes ou des articles spécialisés.
73.6. Le fait que d’autres commerçants (voir tous) exigent un coût semblable pour un service n’est pas déterminant en soi, mais constitue un élément que le juge du fond peut examiner avant de conclure à la lésion.
73.7. Lorsqu’une la production d’une preuve appropriée a été permise et déposée par celui qui s’oppose à l’autorisation de l’action collective, une telle preuve ne doit pas mener à un débat sur la suffisance ou la valeur probante de la preuve disponible.
En l'instance, puisque ces faits précis ne sont pas allégués, la demande d'autorisation doit être rejetée:
[80] La Demande d’autorisation ne contient aucune allégation au soutien de l’existence d’une disproportion considérable entre les prestations des parties. Aucune preuve, même indirecte, n’est déposée. Ainsi, les opinions sur la « part importante du prix payé » (paragraphe 16), le « revenu aussi élevé » (paragraphe 17), le prix « substantiellement moins élevé » qui aurait dû lui être chargé (paragraphe 18) ou la « disproportion considérable entre les prestations respectives des parties » (paragraphe 20) ne sont aucunement supportées par des allégations factuelles ou une « certaine preuve ».
[81] Les seules allégations factuelles pertinentes contenues à la Demande d’autorisation sont le prix payé par le demandeur pour son lave-vaisselle (999 $) et le prix payé pour sa Garantie prolongée. La Demande d’autorisation et la preuve déposée à son soutien ne contiennent aucune référence à une analyse de marché, une comparaison avec le prix chargé par d’autres fournisseurs, la marge bénéficiaire de la défenderesse, un rapport d’expertise ou un article spécialisé, etc.
[82] Rappelons que dans Badaoui, la juge avait jugé insuffisante l’allégation du demandeur voulant que le prix de la Garantie prolongée représentait environ 25 % du prix de son iPhone 8 pour une garantie de deux ans.
[83] La Demande d’autorisation se fonde sur la seule opinion spéculative du Demandeur.
[84] Ainsi, nous ne sommes ni en présence d’allégations précises ni d’une certaine preuve dont il faut se garder d’évaluer la suffisance. Malgré toute la souplesse dont il faut faire preuve à ce stade, le Tribunal ne peut pas retracer une quelconque assise factuelle et objective qui justifie d’accorder la permission demandée.
[85] Ce constat mène au rejet de la Demande d’autorisation.
Référence : [2024] ABD 14
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