
Renno Vathilakis Inc.
[62] Il existe une certaine controverse jurisprudentielle en ce qui a trait à l’application de l’article 107 C.p.c. lorsqu’une demande introductive d’instance comprend un élément d’extranéité et qu’elle doit être signifiée selon les règles de la notification internationale.
[63] Dans l’affaire de Syndic de Liquid Nutrition Franchising Corporation, le juge Michel Pinsonneault a conclu que les dispositions qui se trouvent aux articles 106 à 140 C.p.c. ne s’appliquaient pas lorsqu’il s’agissait de notifier ou de signifier à l’extérieur du Canada un acte judiciaire en matière civile ou commerciale :
[67] Le Tribunal retient de tout ce qui précède que les dispositions se retrouvant aux articles 106 à 140 C.p.c. ne s’appliquent pas lorsqu’il s’agit de notifier ou de signifier à l’extérieur du Canada (à l’étranger) un acte judiciaire en matière civile ou commerciale.[68] En pareilles circonstances, les dispositions des articles 494 à 496 C.p.c. doivent être appliquées obligatoirement, car le Tribunal ne dispose d’aucune discrétion à ce sujet et que le plaideur international doit s’y plier.
[64] Le juge Brian Riordan en est venu à une conclusion similaire dans l’affaire Omega Laboratories Ltd. c. Claris Lifesciences Ltd.
[65] Certains auteurs sont du même avis que les juges Pinsonneault et Riordan. C’est le cas de Joelle Briand-Diguer et de Kim Bernard selon lesquels :
L’article 107, al. 3 du Code prévoit qu’aucune demande introductive d’instance ne pourra être inscrite pour instruction ou jugement si la preuve de sa notification, conformément aux articles 116 et suivants du Code, n’est pas d’abord versée au dossier de la cour. Le Code prévoit également que la demande introductive d’instance est assortie d’un délai de péremption de trois mois. Ainsi, si elle n’est pas notifiée dans un délai de trois mois suivant son dépôt au greffe, l’instance s’éteint et le dossier judiciaire est fermé. Toutefois, ce délai ne s’applique pas en matière internationale lorsque la demande est signifiée à l’extérieur de ce délai et que, tel que prescrit par l’article 494 du Code, le demandeur a suivi les formalités prévues à la Convention de la Haye relatives à la signification et à la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.
Pour sa part, la juge Monast est cependant d'avis que c'est le courant contraire qui doit avoir préséance. Son analyse l'amène à conclure qu'il n'existe pas d'incompatibilité à appliquer l'article 107 C.p.c. en matière de signification internationale, particulièrement puisque le délai qui y est prévu n'est pas de rigueur:
[66] Dans l’affaire Letarte c. Bayer inc., le juge Martin Sheehan en vient à une conclusion différente. Il reconnaît que les articles 494 à 496 C.p.c. ont préséance sur les articles 109 à 140 C.p.c., mais exprime l’opinion que cette préséance n’a pas pour effet d’écarter les articles du Livre I du Code de procédure civile qui ne visent pas la notification des procédures et n’entrent pas en conflit avec les règles de la notification internationale.
[67] Rien dans les articles concernant la notification internationale ne permet, selon lui, de conclure que l’article 107 C.p.c. doit être écarté d’autant qu’il n’existe a priori aucun conflit entre cet article et les articles 494 à 496 C.p.c.
[68] Il mentionne également qu’en cas de difficultés, en raison des délais qui peuvent s’avérer plus longs dans le cas d’une notification internationale, par exemple, la partie demanderesse peut demander au tribunal d’être relevé de son défaut de se conformer à ce délai ou en demander la prolongation lorsque les circonstances le justifient :2.1 L’application de l’article 107(3) C.p.c. dans les cas de notification internationale[22] L’article 107 C.p.c. fait partie du Titre V du Code intitulé, « La procédure applicable à toutes les demandes en justice ». Ce Titre comprend le Chapitre VI qui concerne « La notification des actes de procédure et documents ».[23] Il est vrai que des décisions antérieures ont confirmé que ce chapitre devait céder le pas aux articles 494 à 496 C.p.c. qui forment le Chapitre III du Titre IV, Livre V intitulé « La notification internationale ».[24] Par contre, cette préséance n’a pas pour effet d’écarter les articles qui ne visent pas la signification des procédures en droit interne et qui n’entrent pas en conflit avec les articles visant la notification internationale.[25] Or, l’article 107 C.p.c. ne se retrouve pas au Chapitre VI, mais au Chapitre V qui s’intitule « Les actes de procédure ». Rien dans les articles concernant la notification internationale ne permet de conclure que ces articles sont écartés. De plus, il n’existe aucun conflit entre l’article 107 C.p.c. et les articles 494 à 496 C.p.c.[26] Certes, le fait qu’une partie doive se soumettre aux dispositions de la Convention de La Haye aux fins de signifier sa procédure est un facteur à considérer pour déterminer s’il existe des motifs sérieux pour justifier le dépôt de sa preuve de notification à l’extérieur du délai. Par contre, la prétention de la demanderesse voulant qu’aucun délai ne s’applique en cas de notification internationale n’est pas fondée.[27] En effet, s’il apparait inconcevable qu’une partie puisse perdre des droits substantifs s’il appert que la procédure imposée par des conventions internationales entraine des délais qui excèdent ce qui est permis au Québec, il apparait tout aussi inconcevable qu’une partie étrangère soit obligée de faire face à un état d’incertitude permanent en raison du retard indu d’une partie à suivre les dispositions de ces mêmes conventions.[28] Ainsi, le Tribunal conclut que l’article 107 C.p.c. s’applique dans les cas de notification internationale. Ceci étant, il reconnait que l’application de règles internationales ou étrangères concernant la signification demeure un facteur à considérer pour déterminer si une partie doit être relevée de son défaut de son conformer au délai de trois mois prescrit par cet article.[69] Cette approche paraît être celle qu’il faut privilégier puisque l’article 107 C.p.c. n’est pas, à première vue, incompatible avec l’article 494 C.p.c.
[70] Il peut cependant y avoir des cas où il sera difficile pour la partie demanderesse de s’y conformer notamment si le délai requis pour effectuer la notification internationale est très long ou si aucune preuve de notification ne peut être obtenue dans un délai raisonnable. Dans de tels cas, le tribunal peut relever la partie demanderesse de son obligation de produire la preuve de notification dans le délai de trois mois et prolonger ce délai ou la relever de son défaut dans l’éventualité où il n’a pas été respecté.
Référence : [2024] ABD 17
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