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Une partie qui voit sa défense être rejetée pour cause d'abus au sens des articles 51 C.p.c. et suivants peut-elle ensuite déposer une nouvelle défense? C'est la question à laquelle était confrontée l'Honorable juge Bernard Synnott dans l'affaire Delphnium Ventures Corporation (Livelife) c. Qanex inc. (2023 QCCS 4240) et à laquelle il répond par la négative.
Dans cette affaire, le juge Synnott est saisi d'une demande de la Demanderesse pour obtenir jugement par défaut contre une des Défenderesses. Cette demande fait suite à un jugement précédant rendu par l'Honorable juge David E. Roberge qui avait rejeté en partie la défense de cette Défenderesse pour cause d'irrecevabilité et d'abus.
La question se pose alors à savoir si la Défenderesse a le droit de déposer une nouvelle défense ou si elle est maintenant forclose d'ainsi procéder.
Après avoir noté qu'une partie qui voit sa défense être déclarée irrecevable peut produire une nouvelle défense suite au jugement, le juge Synnott indique qu'il doit en être autrement en cas d'abus. Ainsi, il accueille partiellement l'inscription par défaut:
[9] Depuis l’affaire Patulli précitée, il semble que lorsqu’une demande en irrecevabilité a été accueillie, la défenderesse peut tout de même offrir de nouveaux moyens de défense. Voici comment la Cour d’appel s’exprime à ce sujet :[11] Le juge Mass aurait accepté la proposition de l'avocat de l'intimé suivant laquelle lorsqu'un plaidoyer est rejeté en application de l'article 165(4) C.P. au motif qu'il serait irrecevable, le défendeur ne peut faire des procédures pour produire un nouveau plaidoyer qui, lui, montrerait un ou des moyens de défense à l'action;[12] Cette proposition est mal fondée : lorsqu'une action est rejetée parce qu'elle est irrecevable en droit, le demandeur peut se reprendre si son droit d'action n'est pas prescrit; de la même façon, lorsqu'un plaidoyer est rejeté parce qu'irrecevable en droit, c'est le plaidoyer comme tel qui serait rejeté et ce ne sont pas tous les moyens de défense qui le seraient; comp. avec l'article 75.1 C.P.;[13] En conséquence, lorsqu'un plaidoyer est rejeté par suite d'une requête en irrecevabilité, le défendeur conserve son droit de produire un nouveau plaidoyer et, si défaut de plaider a été enregistré contre lui, il conserve son droit de demander au juge de le relever de son défaut, requête que le juge peut accueillir ou refuser suivant les circonstances;[10] De cet arrêt, le Tribunal retient d’une part que le demandeur peut plaider de nouveaux moyens de défense lorsque celle-ci a été rejetée sur un moyen d’irrecevabilité. Ce raisonnement s’avère applicable à l’esprit du nouveau Code de procédure civile qui prévoit notamment à son article 168 que « la partie contre laquelle le moyen est soulevé peut obtenir qu’un délai lui soit accordé pour corriger la situation ». D’autre part, si comme ici, défaut de plaider a été notifié, la défenderesse conserve son droit de demander au juge de la relever de son défaut, demande que le juge peut accepter ou refuser selon les circonstances.[11] En l’espèce, aucune telle demande n’a été présentée au Tribunal, faisant en sorte qu’un jugement peut être rendu sur l’inscription pour jugement par défaut de plaider, et ce, conformément aux articles 180 et suivants du Code de procédure civile.[12] Par ailleurs, le Tribunal est d’avis que lorsqu’une défense est rejetée conformément à l’article 51 du Code de procédure civile pour des raisons d’abus, la défenderesse perd son droit de produire une nouvelle défense. Une telle approche est conforme aux principes directeurs de la procédure et plus particulièrement au principe de la proportionnalité. Une telle approche s’harmonise également avec le fait que, tout comme en l’espèce, le rejet fondé sur les articles 51 et suivants du Code de procédure civile ne se fonde pas que sur les faits allégués, mais également sur les réponses données lors des interrogatoires hors de cour ou encore, sur la conduite des parties.[13] Ici, le jugement du juge Roberge fait état de sommes dues, de moyens dilatoires pour ne pas les rembourser et de moyens de défense futiles, d’où la déclaration d’abus. Dans un tel contexte, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de rendre jugement conformément à la demande d’inscription pour l’obtention d’un jugement par défaut de plaider sur la portion déclarée abusive par le juge Roberge.
Commentaire:
À mon avis, le raisonnement du juge Synnott dans la présente affaire est juste. Difficile de concevoir qu'une partie pourrait se voir permise de déposer une nouvelle défense après que la Cour ait conclu qu'elle agissait de manière dilatoire dans le seul but de ne pas rembourser des sommes de toute évidence dues.
Le problème qui risque de se poser cependant tient à la définition de l'abus en vertu des articles 51 et suivants C.p.c. Comme nos lecteurs assidus le savent, j'ai été (et demeure) très critique à l'égard de la décision du législateur d'utiliser le terme "abus" pour décrire tant le véritable abus de procédure que le caractère manifestement mal fondé d'une procédure. Dans ce dernier cas, il est difficile de concevoir pourquoi une conclusion d'irrecevabilité des moyens de défense pourra permettre le dépôt d'une nouvelle défense, mais pas un constat de "manifestement mal fondé" lorsque les mêmes considérations sous-tendent les deux.
Prenons l'exemple de l'intérêt pour agir. Si une défense est déclarée irrecevable parce que le défendeur n'a pas l'intérêt juridique pour soulever certains moyens, il pourra déposer une nouvelle défense. Si par ailleurs la même défense est rejetée parce que manifestement mal fondée pour exactement le même motif, il ne le pourra pas?
Respectueusement, je crois que les tribunaux devront analyser de quel type d'abus il s'agit avant de déterminer si le dépôt d'une nouvelle défense est permis (comme semble le faire le juge Synnott au paragraphe 13 de son jugement). Ainsi, je ne pense pas qu'on peut dire que tout rejet d'une défense en vertu des articles 51 et suivants doit forclore le dépôt d'une nouvelle défense.
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