mardi 14 novembre 2023

La fardeau de prouver l'incapacité du testeur

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Pas toujours facile de suivre et comprendre les enseignements de la jurisprudence sur le fardeau l'incapacité du testeur. En effet, certaines décisions laissent sous-entendre qu'un renversement du fardeau a lieu dans circonstances circonstances, C'est pourquoi j'attire cet après-midi votre attention sur la décision récente rendue par l'Honorable juge Sophie Picard dans Bruneau c. Succession de Vincent (2023 QCCS 4339) qui contient une belle synthèse de la question.


Pour nos fins, la trame factuelle importe peu. Rappelons simplement que la juge Picard est saisie d'une demande d'annulation de testament au motif de l'incapacité du testateur. 

C'est dans ce contexte que la juge Picard fait une synthèse très utile de la jurisprudence pertinente sur la question du fardeau de la preuve sur la question de la capacité de tester:
[64] Ainsi, le fardeau de prouver l’incapacité du testateur incombe à la partie qui conteste la validité du testament.

[65] Cependant, comme l’a énoncé la Cour d’appel dans l’arrêt Bertrand c. Opération Enfant Soleil, le fardeau peut être déplacé sur la partie qui défend la validité du testament devant une preuve prima facie de « l’existence d’un état habituel d’aliénation ou de faiblesse d’esprit » chez le testateur. Dans un tel cas, il revient à la partie qui défend la validité du testament de prouver que le testateur a testé dans « un intervalle de lucidité » :
[42] En matière de capacité de tester, le principe cardinal est que le fardeau de prouver l’incapacité incombe au plaideur qui demande la nullité de l’acte puisque chacun est présumé être sain d’esprit. Ainsi, au stade initial, la partie qui requiert l’annulation du testament doit mettre en doute, de façon générale, la capacité de tester : « Il suffirait à ce stade, de prouver l’existence d’un état habituel d’aliénation ou de faiblesse d’esprit. Faute de prouver l’état habituel d’insanité, le recours en annulation du testament échouera et la validité de celui-ci sera reconnue ».

[43] Si cette capacité est sérieusement mise en doute par une preuve prima facie, le fardeau de la preuve se déplace sur celui qui prétend à la validité de l’acte. Il reviendra alors à ce dernier de démontrer la capacité de tester lors de la confection du testament. Bien que cela puisse s’avérer un exercice ardu, il faudra démontrer un intervalle de lucidité, même dans une situation générale d’affaiblissement mental. Ainsi, une contre-preuve convaincante amènera la validité du testament.

(soulignements ajoutés)
[66] Dans des arrêts subséquents, la Cour d’appel a confirmé ce cadre d’analyse en prenant soin de préciser qu’il revient toujours à la partie qui invoque l’incapacité du testateur de le faire au moyen d’une preuve prépondérante :
[28] (…) In other words, referring to “prima facie” evidence is simply a manner of speaking and does not detract from the fundamental rule of evidence in civil matters (…). Considering the legal presumption of capacity established in matters of wills (in most matters, indeed, since “la capacité se présume”) (…), the party who seeks the nullity of a will bears the onus of establishing on a balance of probabilities (“par preuve prépondérante”), the incapacity of the testator at the time the will was signed. Again, (..), this burden may be discharged by direct or circumstantial evidence (i.e. presumptions of fact).

[29] (…) If the plaintiff’s evidence is sufficient (art. 2804 C.C.Q.), the burden then switches to the defendant to establish, also on a balance of probabilities, that although the testator was generally incapable during the period the will was signed, it was nevertheless signed during a lucid interval.

[30] Finally in most situations, it is not without having first heard and canvassed all of the evidence offered by all parties that a trial judge will be able to answer the question of whether the party alleging the testator’s incapacity has discharged its burden.

*

[18] (…) Moreover, even in cases of testamentary capacity, the reversal of the burden after the demonstration of a prima facie case is simply a “matter of speaking” and does not discharge the party who seeks the nullity of a will to establish, on a balance of probabilities, the incapacity of the testator at the time the will was signed.

(soulignements ajoutés)
[67] Ainsi, la preuve d’incapacité prima facie doit soulever davantage qu’un simple doute en ce qu’elle doit susciter une certaine conviction (« be sufficiently compelling ») que le testateur « ne jouissait pas suffisamment de ses facultés intellectuelles pour comprendre et apprécier raisonnablement la portée de ses dispositions testamentaires ».

[68] Enfin, les éléments permettant d’analyser la question de la capacité de tester ont été résumés ainsi par la professeure Christine Morin :
Pour être « capable de tester », le testateur doit non seulement être juridiquement apte, mais il doit avoir la « volonté de tester », ce qui signifie qu’il doit être en mesure de donner un consentement. À ce sujet, la jurisprudence et la doctrine s’accordent généralement pour affirmer qu’il faut que « le testateur jouisse de ses facultés intellectuelles au point de pouvoir envisager les divers éléments qui doivent déterminer une personne à disposer de ses biens d’une manière plutôt que d’une autre; de comprendre le sens et de mesurer la portée de la disposition qu’elle va faire, et de s’y arrêter volontairement ».
Référence : [2023] ABD 454

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