mercredi 8 novembre 2023

L'abus de procédure peut avoir lieu au stade de l'exécution d'un jugement

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Si les articles 51 et suivants du Code de procédure civile ne peuvent servir à sanctionner le comportement d'une partie avant le dépôt de procédures judiciaires, il en va différemment du stade de l'exécution du jugement. En effet, comme le souligne l'Honorable juge Daniel Urbas dans l'affaire Compagnie d'assurance d'hypothèque Sagen Company Canada (Société hypothécaire Scotia) c. Méthé (2023 QCCS 4216), les démarches d'une partie pour exécuter un jugement peuvent être sanctionnées par les articles 51 et suivants si elles sont abusives.


Plus de dix ans après qu'elle ait obtenu jugement contre le Défendeur, la Demanderesse commence sans préavis des procédures d'exécution de son jugement. Elle ne contacte pas le Défendeur et ne lui offre pas l'opportunité d'exécuter volontairement le jugement.

Le Défendeur demande le rejet de ces procédures au motif qu'elles sont prescrites et que le comportement procédural de la Demanderesse au stade de l'exécution est abusif.

Le juge Urbas rejette le premier moyen, soulignant que la suspension des délais pendant la crise sanitaire fait en sorte que l'exécution du jugement n'est pas prescrite. Il voit cependant les choses autrement au niveau de l'abus. Il souligne que l'abus de procédure peut avoir lieu au moment de l'exécution:
[39] Deuxièmement, l'abus doit se produire pendant l'instance et non avant. Le Défendeur ne peut demander au Tribunal d'imposer une mesure de redressement avant qu'un dossier judiciaire ne soit initié par le dépôt d'une demande en justice ou un autre acte de procédure. Cependant, l'article est rédigé en termes généraux et n'exclut pas les mesures d'exécution d'un jugement, telle que la saisie effectuée en janvier 2023 en exécution du Jugement 2012.

[40] Troisièmement, le redressement est discrétionnaire. L'article 51 C.p.c. confirme que les tribunaux peuvent déclarer un abus de leur propre initiative, sans demande d'une partie. Cela reflète le principe général, énoncé à l'article 49 C.p.c., selon lequel les tribunaux ont tous les pouvoirs nécessaires pour exercer leur compétence. Bien que les tribunaux puissent le faire, ils s'abstiendront de le faire si le dossier suscite une réserve[17].

[41] Quatrièmement, le Tribunal peut appliquer l'article 51 C.p.c. « à tout moment » pour déclarer qu'une demande ou un acte de procédure « est » abusif, et pas seulement « était ». Il n'est pas nécessaire d'attendre qu'une demande ou un moyen ait été entendu ou qu'il ait épuisé son objet. La notion d'abus n'est pas limitée à l'avenir. Elle peut également s'appliquer dans les cas où "il y a eu ou s'il paraît y avoir un abus", comme le prévoit l'article 53 C.p.c. Dans le cas présent, la saisie n'est pas terminée et a été suspendue. Le Tribunal demeure compétent pour imposer des mesures en cas de besoin.

[42] Cinquièmement, son caractère prospectif ressort de la mesure qu'il déclenche en vertu de l'article 53 C.p.c. ainsi que de son emplacement dans le Code de procédure civile. L'article 53 C.p.c. autorise le Tribunal à prévenir les abus anticipés et à imposer des conditions dans les affaires en cours. Ce faisant, il prévient les manquements futurs qui pourraient se transformer en quelque chose de plus « substantiel ». Le Tribunal ne doit pas attendre que quelque chose se produise. En l'espèce, étant donné que la saisie n'est pas terminée et qu'elle a été suspendue, le Tribunal peut imposer des mesures qui répondent au risque d'abus, comme le montrent le dossier de la Cour à ce jour, si et une fois que la suspension de la saisie est levée.
Le juge Urbas en vient à la conclusion que le comportement de la Demanderesse en l'instance est abusif. Bien que ce comportement ne justifie pas le rejet pur et simple de la procédure en exécution, il justifie l'attribution de dommages au Défendeur et à l'imposition d'une suspension temporaire de l'exécution du jugement:
[52] D’abord, le Tribunal détermine que le Défendeur a le droit de recevoir une somme équivalente à 5 000 $ pour représenter les honoraires professionnels inutilement encourus pour répondre à la saisie. Ces frais auraient été évités si la Demanderesse avait contacté le Défendeur pour lui demander de se conformer volontairement au Jugement 2012 après plus de dix ans de silence.

[53] Le Tribunal peut ordonner le versement d'une provision pour frais si (i) les circonstances le justifient et (ii) il constate que sans cette aide l’autre partie risque de se retrouver dans une situation économique telle qu’elle ne pourrait faire valoir son point de vue valablement. Il est vrai que le Défendeur n'a pas les mêmes moyens que la Demanderesse, mais cela n'équivaut pas à une incapacité à faire valoir ses droits. Il reste débiteur en vertu du Jugement 2012 et est tenu de payer l'intégralité de la condamnation. Le simple fait d'être tenu de payer le montant de la condamnation ne constitue pas en soit le type de situation économique évoqué à l'article 53 C.p.c.

[54] Le paiement de 5 000 $ est donc rétrospectif et non prospectif. Le paiement concerne l'abus commis et ne prétend aucunement remédier à un abus anticipé qui pourrait survenir.

[55] Deuxièmement, le sursis accordé en mars 2023 n'aura plus d'effet après le présent jugement et le Défendeur est dès aujourd’hui confronté à la nécessité de se conformer au Jugement 2012 sans avoir recours à la prescription extinctive. Dans les circonstances, le Tribunal estime qu’une suspension de trois mois à partir du présent jugement est un délai équivalent à une mise en demeure écrite préalable de la Demanderesse au Défendeur et à un éventuel paiement par le Défendeur, entente entre les parties ou saisie par la Demanderesse.

[56] Contrairement à la condamnation des 5 000 $, cette mesure est prospective. Motivée par les abus commis par la Demanderesse dans le passé, la suspension ne sert qu'à empêcher la répétition de ce même abus et à imposer une période de préavis juste dont on peut penser qu'elle est due après 10 ans de silence.
Référence : [2023] ABD 446

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