lundi 13 novembre 2023

En matière d'oppression, le juge de première instance a discrétion pour rendre une ordonnance qui n'a pas été demandée par les parties dans la mesure où elles ont pu faire des représentations sur la question

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous traitons régulièrement de la très grande discrétion dont bénéficie un juge de première instance en matière d'oppression. Cela s'explique facilement par le fait qu'un tel recours fait appel à des principes d'équité et qu'il est souvent souhaitable qu'un divorce corporatif ait lieu même si la Cour juge le remède recherché inapproprié. C'est ce que la Cour d'appel réitère dans sa décision récente de Bourgeois c. Cardinal (2023 QCCA 1423).


La Cour d'appel est saisie du pourvoi à l'encontre d'une décision de première instance rendue par l'Honorable juge Michel Pinsonnault qui a rejeté une demande introductive d'instance en oppression qui demandait la liquidation de la compagnie et a plutôt statuée que les actions de l'Appelante devrait être rachetées à leur valeur au livre.

L'Appelante formule divers reproches quant au jugement de première instance. Un de ceux-ci est que le juge Pinsonnault ne pouvait prononcer une conclusion de rachat de ses actions alors que cette conclusion n'était demandée par aucune des parties et alors qu'elle n'a pas eu l'opportunité de plaider sur la question.

L'Honorable juge Schrager - au nom d'une formation unanime de la Cour - est d'avis que ce motif d'appel est non fondé. Il souligne à cet égard que la Loi permet expressément au juge de première instance de prononcer un autre remède et qu'il découle de la nature même du recours en oppression qu'il en soit ainsi:
[45] Au fond, l’article 452 LSAQ donne au tribunal saisi d’un recours en oppression le pouvoir de rendre une ordonnance qui n’a pas été demandée par le demandeur, mais dans la seule mesure où il a donné l’occasion aux parties de faire des représentations sur le redressement envisagé.

[46] En l’espèce, le juge était saisi d’une demande en dissolution et liquidation de DVolu, de sorte que les articles 461 et s. LSAQ trouvent application. En vertu de l’article 464 LSAQ, le juge avait compétence de « rendre toute ordonnance qu’il estime appropriée y compris […] une ordonnance visée à l’article 451 ». Ce dernier article prévoit entre autres : [...]

[47] C’est ce que le juge a fait ici : il a ordonné le rachat des actions de l’appelante. Il n’a commis aucune erreur révisable en rendant une telle ordonnance puisqu’il n’était pas limité par la demande de dissolution de l’appelante. De plus, vu les constats du juge quant au comportement oppressif de l’appelante à l’égard des autres actionnaires, un tel remède était amplement justifié. Je m’explique.

[48] Le juge arrive à la conclusion que l’appelante n’était pas victime d’oppression de la part des intimés ou des mis en cause et qu’au contraire, c’est plutôt l’appelante qui a fait preuve d’un tel comportement à leur endroit. Il s’explique en ces termes :
[239] Il n'en demeure pas moins que les manœuvres et les attentes de Bourgeois face à DVolu et au sort qu'elle veut lui réserver cumulées par ses tergiversations au niveau de son statut d'actionnaire, entrainent une incertitude qui affecte sérieusement DVolu et ses actionnaires, ce qui dicte que le statu quo ne peut être maintenu.

[240] Le Tribunal doit donc intervenir afin de faire cesser toute interférence et oppression indue de la demanderesse auprès de DVolu.

[282] Le Tribunal déclarera donc que c'est plutôt la demanderesse qui a eu un comportement oppressif, abusif et injustifié à l'égard des défendeurs et des mis en cause en l'espèce.

[49] Bien que le statu quo ne fût pas envisageable, la liquidation de DVolu, une société opérante et profitable, ne constituait pas une solution justifiée ni appropriée. Surtout, l’appelante n’avait aucune attente raisonnable, dans le contexte de la réalité commerciale de DVolu, de continuer à agir comme administratrice avec le pouvoir de signer des chèques, car elle n’a jamais été impliquée dans les opérations de la société[26]. Sa destitution du conseil d’administration donnait donc effet à la réalité pratique et a permis à DVolu d’opérer sans ingérence.

[50] À l’audience, devant le juge, les intimés demandaient le rachat des actions de l’appelante (pour un dollar)[27]. Vu cette demande et la compétence qu’il avait en vertu de l’article 464 LSAQ de « rendre toute ordonnance qu’il estime appropriée », le juge n’a pas erré en ordonnant le rachat des actions de l’appelante plutôt que la dissolution de DVolu, tel que le requérait l’appelante. D’ailleurs, le rachat de ses actions faisait partie des remèdes recherchés par l’appelante dans les trois versions antérieures de sa demande, et cela, jusqu’à la veille du procès. Le 29 octobre 2021, lors de la séance de gestion, le juge a indiqué considérer que le rachat demandé dans les versions antérieures était toujours devant lui. Ce remède a également fait l’objet d’observations par les parties lors du procès. Dans ces conditions, et vu l’analyse du comportement de l’appelante envers les autres actionnaires, le rachat de ses actions était amplement justifié.

Référence : [2023] ABD 451

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