jeudi 2 juin 2022

La mise en place d'un processus pour juger de la confidentialité de documents ne nécessite pas la satisfaction du test des affaires Sierra Club et Sherman

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Les décisions phares rendues par la Cour suprême du Canada dans les affaires Sierra Club et Sherman (Estate), le plus haut tribunal du pays nous enseigne qu'un accroc au principe de la publicité des débats ne se justifie que lorsque sont pondérés (a) l’impératif de publicité des débats judiciaires, (b) l’intérêt de maintenir la confidentialité d’informations commerciales ou privilégiées et (3) la préservation et l’application des principes de contradiction, de coopération et plus généralement l’équité des procédures pour toutes les parties. Cet exercice de pondération ne doit cependant avoir lieu qu'au stade où la Cour décide du caractère confidentiel de documents et non pas au moment de simplement mettre en place un processus pour cette détermination. C'est ce que nous enseigne la Cour d'appel dans Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d'assurance-vie (2022 QCCA 696).


La Cour est saisi d'un appel à l'encontre d'un jugement de première instance rendu dans le cadre d'un recours collectif. Le juge de première instance devait trancher certaines objections sur la communication de la preuve.

L'aspect qui nous intéresse particulièrement cet après-midi est relatif au caviardage. En effet, l'Intimée refuse de comnuniquer des documents sans que certaines informations soient caviardées. Le juge de première instance met donc en place un processus qui s'apparente à un voir-dire pour trancher la question du caviardage. 

Les Appelants sont d'avis que cette ordonnance contrevient à la règle de la publicité judiciaire, et ce sans que le test pertinent soit satisfait.

Une formation unanime composée des Honorables juges Gagnon, Ruel et Lavallée en vient à la conclusion que ce reproche est mal fondé. La Cour souligne que le jugement ne fait que mettre en place un processus d'examen, de sorte que le cadre d'analyse de Sierra Club et Sherman (Estate) ne s'applique pas à ce stade:
[24] Les appelants ne démontrent pas que le juge de première instance a exercé sa discrétion judiciaire de manière déraisonnable. Le juge n’a prononcé aucune ordonnance de confidentialité qui aurait requis la pondération : (1) de l’impératif de publicité des débats judiciaires; (2) de l’intérêt de maintenir la confidentialité d’informations commerciales ou privilégiées; et (3) de préserver autant que possible l’application des principes de contradiction, de coopération et plus généralement l’équité des procédures pour toutes les parties. 
[25] L’ordonnance du juge se situe en amont en ne faisant qu’établir un mécanisme par lequel il pourra consulter l’information contestée. Il réserve l’analyse du sort des demandes de caviardage à une date ultérieure. 
[26] Le juge de première instance dispose de tous les pouvoirs nécessaires pour trancher les difficultés que peuvent soulever les interrogatoires préalables ou la divulgation de la preuve. Ces pouvoirs incluent celui de contrôler le processus de communication de la preuve, d’en établir les modalités et d’en fixer les limites. 
[27] Afin de « prévenir la communication prématurée et superflue de renseignements confidentiels, la pratique judiciaire veut qu'avant de l'ordonner, le tribunal examine les documents pour déterminer dans un premier temps leur pertinence et la nécessité de leur communication et, le cas échéant, mette en place les mesures lui permettant d'être informé adéquatement et d'encadrer convenablement le débat judiciaire à leur sujet ». En d’autres termes, « la méthode recommandée en pareil cas consiste à soumettre la documentation en cause au juge afin que celui-ci statue ». 
[28] Le juge de première instance ne fait qu’énoncer qu’il considérera les objections et les revendications de confidentialité ou de privilège lors d’un voir-dire à huis clos. Cette ordonnance, de nature générale, ne traite pas en détail de la manière par laquelle les revendications seront effectuées, non plus que des droits de participation auxquels auront droit les appelants, et ce, de manière à préserver le principe de contradiction et la transparence du processus judiciaire, tout en évitant une communication prématurée, indésirable ou préjudiciable d’informations confidentielles ou privilégiées.

 Référence : [2022] ABD 218

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