vendredi 3 juin 2022

La Cour insiste sur le devoir de collaboration des parties à une promesse d'achat dans le cadre d'un recours en passation de titre

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Les tribunaux québécois ont souvent rappelé l'importance du devoir de collaboration entre parties contractantes. Ce devoir est d'autant plus important dans le cadre d'un recours en passation de titre où les parties se sont engagées à conclure une entente finale. La décision récente rendue dans l'affaire Aveine c. Bates (2022 QCCS 1997) illustre bien ce principe.


Dans cette affaire, l'Honorable juge Line Samoisette est saisie d'une action en passation de titre de la Demanderesse. Celle-ci allègue que le Défendeur refuse sans raison valable de donner suite à une promesse bilatérale de vendre un immeuble.

Le défendeur allègue que le délai pour la signature de l’acte de vente était échu et qu'il n'avait aucun obligation de consentir un délai supplémentaire. Il allègue de plus que la Demanderesse a selon lui fait preuve de mauvaise foi.

Après analyse, la juge Samoisette en vient à la conclusion que la demande en passation de titre est bien fondée. D'abord, elle souligne que les délais stipulés ne peuvent être de rigueur à moins que les deux parties les stipulent ainsi. Ensuite, elle souligne l'importance pour les parties de collaborer de bonne foi pour véritablement tenter d'en venir à une entente:
[37] L’article 1326 C.c.Q. prévoit que l’acceptation de la promesse d’achat oblige les parties à conclure le contrat. Le défaut par le promettant vendeur de passer titre confère au bénéficiaire de la promesse le droit d’obtenir un jugement qui en tienne lieu. 
[38] Il est reconnu que le délai prévu à la promesse d’achat n’est pas de rigueur à moins qu’il n’ait été clairement spécifié, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. 
[39] La bonne foi doit gouverner la conduite des parties à chaque étape de leurs obligations. Tout droit doit être exercé de manière raisonnable, selon les exigences de l’équité. Le caractère raisonnable du délai accordé doit être apprécié dans le contexte particulier de chaque cause. Dans son volume sur les obligations, l’auteur Vincent Karim écrit :
« 307. Le tribunal doit rechercher l’équilibre entre les intérêts légitime des deux parties, tel que l’exige cette notion de bonne foi. Le délai accordé au débiteur pour qu’il puisse acquitter de ses obligations doit être raisonnable, eu égard aux circonstances dans lesquelles se trouve ce dernier et compte tenu du caractère sérieux de ses démarches pour s’exécuter. Il faut donc évaluer la conduite des deux parties et non seulement celle du créancier au moment où il a agi et pris des décisions pour bien comprendre si l’exercice de son droit constitue un abus de droit ou n’est pas conforme aux exigences de la bonne foi. » 
[références omises]
[40] Plus loin, il écrit :
325. « La bonne foi commande une collaboration et une coopération entre les parties lorsque des événements imprévisibles et extérieurs à la volonté des parties viennent modifier l’équilibre d’un contrat rendant les obligations du débiteur plus coûteuses que prévu. (…) » 
(…) 
339. En effet, l’obligation de bonne foi impose aux deux parties le devoir d’agir avec toute loyauté l’une envers l’autre pour permettre au contrat de produire son plein effet. (…) De même, cette obligation impose aux parties un comportement positif exempt de tout abus. (…) »
[41] Qu’en est-il en l’espèce ? 
[42] Le délai initial pour la signature de l’acte de vente a été fixé au 1er mai 2020 pour être ensuite prolongé de consentement au 8 mai 2020. 
[43] Par la suite, le tribunal ne peut retenir que la demanderesse a agi de mauvaise foi comme le prétend le défendeur. La preuve démontre au contraire qu’elle a été diligente ayant agi le plus rapidement possible dans le contexte lié au début de la pandémie. Elle a dû faire des démarches auprès de plusieurs entreprises parce que certaines étaient fermées et d’autres fonctionnaient au ralenti. 
[44] La demanderesse a toujours eu l’intention d’acheter la maison et le défendeur souhaitait vendre la maison. Les conditions prévues à la promesse d’achat et à la modification de celle-ci avaient été remplies. La bonne foi exigeait une collaboration et une compréhension du défendeur. Dans les faits, le délai ne lui causait aucun préjudice puisque le locataire continuait de payer le loyer de la maison qui couvrait les frais. 
[45] La preuve révèle que le défendeur était prêt à signer l’acte de vente chez la notaire au mois de juillet 2020 n’eut été du revirement en raison de ce que lui a rapporté le locataire de la maison. La frustration du défendeur ne peut être génératrice de droits. En somme, la seule raison pour laquelle le défendeur ne voulait plus vendre la maison à la demanderesse c’était parce qu’elle avait dit au locataire qu’elle était propriétaire. Ce n’est pas là un motif justifiant le refus de donner suite à la promesse d’achat. 
[46] Lors de son témoignage, la notaire a confirmé au tribunal qu’elle était toujours disposée à réaliser la transaction et qu’elle détient les sommes suffisantes dans son compte en fidéicommis pour compléter la transaction. 
[47] Le tribunal conclut qu’il y a lieu d’accueillir la demande en passation de titre de la demanderesse, et ce, suivant les modalités qui seront spécifiées dans les conclusions du présent jugement.

 Référence : [2022] ABD 219

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