lundi 30 mai 2022

Une nouvelle décision de la Cour d'appel renforce ma conviction que toutes les violations à l'équité procédurale devraient répondre à la norme de la décision correcte

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Il y a plusieurs années, j'avais eu la très mauvaise idée de débattre de la norme de contrôle applicable aux questions d'équité procédurale avec le professor Paul Daly. Je faisais valoir que les questions d'équité procédurale ne devraient jamais répondre à la norme de la décision raisonnable puisqu'une violation de l'équité procédurale viciait le processus de manière irrémédiable. Le professeur Daly adoptait une approche plus nuancée (je vous laisse le soin de lire le tout si ça vous intéresse). Viens aujourd'hui une décision récente de la Cour d'appel qui ramène la question à l'avant-scène et qui (a) renforce ma conviction sur la question et (b) me confirme que les tribunaux québécois ne sont malheureusement pas de mon avis. Il s'agit de l'affaire Robert c. PF Résolu Canada inc. (2022 QCCA 735).


Dans cette affaire, l'Appelant se pourvoit à l'encontre d'un jugement de la Cour supérieure qui a rejeté sa demande en contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision du Tribunal administratif du travail.

L'Appelant allègue un manquement à l'équité procédurale puisque après le prononcé de la décision du TAT, il constate qu'un régisseur qui n'a pas siégé à l'audition et n'a pas été annoncé a participé à la décision (!). 

Bien que la question en est une relative à l'équité procédurale, une formation unanime de la Cour d'appel composée des Honorables juges Pelletier, Morissette et Gagnon en vient à la conclusion que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable puisque le TAT se trouvait à interpréter sa loi habilitante dans le cadre de la demande en révision de l'Appelant:
[6] Lorsqu’il est question d’un manquement à une règle de justice naturelle ou à l’équité procédurale, « le rôle de la cour de révision en matière d'équité procédurale consiste simplement à déterminer si la procédure suivie était équitable, compte tenu des circonstances particulières de l'affaire ». Si cette question se pose dans le cadre précis de l’interprétation par le tribunal administratif de sa loi constitutive, la norme de la décision raisonnable trouvera alors application.

Puisque la norme de la décision raisonnable est applicable, la Cour d'appel indique que même si elle concluait à une violation aux règles d'équité procédurale - ce sur quoi elle ne se prononce pas - il n'y aurait pas lieu de retourner le dossier au TAT en raison des circonstances de l'affaire:

[11] Règle générale, il y a lieu de retourner un dossier devant l’instance administrative lorsqu’une violation de l’équité procédurale est constatée. Cependant, il peut y avoir des situations où un tel remède s’avère inutile. À ce sujet, les propos des juges majoritaires dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov valent d'être repris :
[140] Lorsque la cour de révision applique la norme de la décision raisonnable au moment d’effectuer un contrôle judiciaire, le choix de la réparation doit être guidé par la raison d’être de l’application de cette norme, y compris le fait pour la cour de révision de reconnaître que le législateur a confié le règlement de l’affaire à un décideur administratif, et non à une cour. Toutefois, l’examen de la question de la réparation doit aussi être guidé par les préoccupations liées à la bonne administration du système de justice, à la nécessité d’assurer l’accès à la justice et à « la volonté de mettre sur pied un processus décisionnel à la fois rapide et économique qui préside souvent au départ à la création d’un tribunal administratif spécialisé ». 
[141] Donner effet à ces principes dans le contexte de la réparation signifie que, lorsque la décision contrôlée selon la norme de la décision raisonnable ne peut être confirmée, il conviendra le plus souvent de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie la décision, mais à la lumière cette fois des motifs donnés par la cour. Quand il revoit sa décision, le décideur peut alors arriver au même résultat ou à un résultat différent. 
[142] Cependant, s’il convient, en règle générale, que les cours de justice respectent la volonté du législateur de confier l’affaire à un décideur administratif, il y a des situations limitées dans lesquelles le renvoi de l’affaire pour nouvel examen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter. L’intention que le décideur administratif tranche l’affaire en première instance ne saurait donner lieu à un va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens. Le refus de renvoyer l’affaire au décideur peut s’avérer indiqué lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien. Les préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donné, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques peuvent aussi influer sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire — tout comme ces facteurs peuvent influer sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de casser une décision lacunaire.
[12] L’appelant a été entendu complètement par la seule personne qui ultimement a rendu la décision. Non seulement l’appelant ne démontre aucune possibilité raisonnable que l’atteinte dont il se plaint ait pu influer sur l’issue de TAT 1, mais au surplus, il n’existe au dossier aucun indice que cette décision se fonde sur autre chose que la preuve présentée devant cette instance. 
[13] Il s’en suit que toute intervention reposerait nécessairement sur des motifs hypothétiques alors que l’appréciation de la preuve faite par TAT 1 n’est pas contestée en appel. 
[14] Il faut donc se rendre à l’évidence : le renvoi de l’affaire ne servirait à rien même si la Cour concluait à une violation des règles d’équité procédurale. Il s’agit bien entendu d’un cas exceptionnel, mais dont le résultat apparaît inéluctable.

Commentaire:

Je ne sais pas quoi dire. Il m'est impossible d'accepter cette lignée jurisprudentielle et l'idée qu'une violation de l'équité procédurale puisse ne peut avoir d'impact sur la validité de la décision.

La juge de la Cour supérieure en était venue à la conclusion qu'il n'y avait pas eu de violatiom de l'équité procédurale. Soit. Mais que la Cour d'appel ne se prononce pas sur la question et indique que - violation ou pas -  le jugement du TAT demeure, est fondementalement contraire à la règle de droit et à la justice naturelle. 

Référence : [2022] ABD 212

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Notre équipe vous encourage fortement à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d'alimenter les discussions à propos de nos billets. Cependant, afin d'éviter les abus et les dérapages, veuillez noter que tout commentaire devra être approuvé par un modérateur avant d'être publié et que nous conservons l'entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.