lundi 30 mai 2022

Les enseignements récents de la Cour d'appel en matière de partage de responsabilité

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Lorsque la Cour retient la responsabilité de plusieurs parties défenderesses pour les dommages subis en demande, elle doit en principe déterminer quel est le partage de responsabilité applicable, et ce même quand la responsabilité est solidaire ou in solidum. Dans la décision récente qu'elle rend dans l'affaire Ville de Montréal c. Acier Century inc. (2022 QCCA 747), la Cour d'appel nous réitère deux principes importants: (a) lorsque la responsabilité de certaines parties défenderesses est subsisidiaires, le(s) débiteur(s) primaire(s) devront assumer 100% de la responsabilité et (b) c'est la gravité des fautes et non leur degré respectif de causalité qui influera sur la part de responsabilité des diverses parties défenderesses.


Dans cette affaire, la Cour est saisie d'un pourvoi à l'encontre d'un jugement de première instance qui a conclut à la responsabilité de l'Appelante pour les omissions de ses employés et la condamne in solidum avec les Mis en cause à payer la somme de 107 025$ à l'Intimée. 

L'Appelante soulève plusieurs arguments contestant sa responsabilité envers l'Intimée, lesquels sont tous mis de côté par la Cour d'appel. Elle soumet également que la juge de première instance s'est méprise en attribuant à chacune des trois parties défenderesses un tiers de la responsabilité au motif que chacune de leur faute a contribué également au préjudice, puisque l'absence de chacune aurait évité entièrement le préjudice.

Sur ce dernier point, une formation unanime de la Cour composée des Honorables juges Dutil, Healy et Gagné donne raison à l'Appelante. La Cour rappelle que c'est la gravité de la faute - et non pas sa contribution à la causalité - qui doit servir à la détermination de la part de responsabilité. Qui plus est, lorsqu'une partie est la responsabilité primaire et d'autres sont des responsables subsidiaires (comme c'est le cas ici), la partie qui a la responsabilité primaire doit se voir attribuer 100% de la responsabilité:
[23] Elle soutient que la juge a erré en droit en « assujetti[ssant] le partage de responsabilité à la causalité plutôt qu’à la gravité des fautes ». 
[24] Sur ce point, la Ville a raison. Selon l’article 1478 alinéa 1 C.c.Q., la responsabilité se partage en proportion de la gravité des fautes : 
1478. Lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes, la responsabilité se partage entre elles en proportion de la gravité de leur faute respective. 
[…] 
1478. Where an injury has been caused by several persons, liability is shared between them in proportion to the seriousness of the fault of each. 
[…] 
[25] De plus, en cas de faute subsidiaire (deux ordres de débiteurs), le débiteur primaire doit en principe supporter la totalité de la condamnation in solidum. C’est ce qu’explique la Cour dans Bourque c. Poudrier, sous la plume de la juge Bich :
[37] L'in solidum trouve sa place en diverses circonstances, comme on l'a vu précédemment, et notamment dans le cas de fautes subsidiaires. Le professeur Levesque explique à ce propos que: 
[…] L'auteur de cette faute subsidiaire aurait pu arrêter ou empêcher la réalisation du préjudice. L'exemple classique demeure celui du professionnel qui omet de divulguer ou de réparer une faute commise par l'autre débiteur, le débiteur primaire. La faute du débiteur primaire est souvent une abstention. La victime avait pourtant engagé ce professionnel pour s'assurer que la transaction soit bien effectuée, pour que la vérité soit faite. 
[38] C’est exactement la situation en l’espèce, alors que le notaire Poudrier, par suite de la faute que l’on sait, n’a pas divulgué l’existence des servitudes grevant le terrain acheté par les appelants, scellant ainsi le silence fautif – et, à vrai dire, dolosif – des vendeurs à ce sujet. La faute du notaire a cependant un caractère subsidiaire à celle des vendeurs, premiers débiteurs du devoir de divulgation envers les acheteurs. Ce caractère de faute subsidiaire ne fait pas pour autant de la responsabilité du notaire une responsabilité subsidiaire, qui ne pourrait s'enclencher que si le débiteur primaire, ayant d'abord été poursuivi, est dans l'incapacité d'acquitter la condamnation prononcée contre lui ou que les voies d'exécution forcée se révèlent vaines. 
[…] 
[41] Le rejet de la théorie de la subsidiarité du recours en responsabilité fait donc obstacle à cette « sorte d’obligation préalable de discussion » en faveur du professionnel; il permet non seulement de poursuivre celui-ci en même temps que l'on poursuit l'autre débiteur, mais aussi d'obtenir la condamnation concomitante, in solidum, de l'un et de l'autre. Ce rejet ne change cependant rien au fait que, fréquemment, la faute du professionnel – et c'est ici le cas tout comme ce l'était dans l'arrêt Prévost-Masson – est subsidiaire. Cette différenciation des deux fautes a pour conséquence qu'entre les débiteurs in solidum de la condamnation, l'ultime responsabilité de celle-ci sera en principe assumée totalement par le débiteur primaire. C'est exactement ce qu'a fait la Cour dans l'arrêt Chartré, où l'on reconnaît une telle subsidiarité et où l'on conclut en conséquence qu'entre les débiteurs, 100 % de la responsabilité sera imposée au débiteur primaire et 0 % aux notaires, débiteurs subsidiaires. 
[26] En l’espèce, les fautes de la Ville et d’ADT sont non seulement moins graves, mais elles sont subsidiaires à celle de Landry, auteur du vol, et, de ce fait, débiteur primaire de l’obligation de réparer le préjudice causé à Acier Century. 
[27] Il s’ensuit qu’entre la Ville, ADT et Landry, ce dernier doit supporter 100 % de la condamnation in solidum. Tout autre partage serait contraire à la logique et au bon sens, comme l’illustre le passage suivant du mémoire de la Ville : 
123. Si [Acier Century] choisi[ssait] d’exécuter le montant total du jugement en s’adressant au voleur Landry (et en supposant que celui-ci soit solvable), le partage de responsabilité prévu par le jugement de la Cour supérieure lui permettrait de récupérer le tiers de la somme d’argent qu’il a volée auprès de [la Ville] et un autre tiers auprès d’ADT. Cela ferait en sorte que le voleur aurait entre les mains, au final, les deux tiers de l’argent volé dans les deux guichets.

 Référence : [2022] ABD 211

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