mardi 31 mai 2022

Lorsque les tribunaux indemnisent une partie pour la perte d'un contrat, il est approprié d'utiliser la marge bénéficiaire brute que la partie aurait réalisée sur ledit contrat

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Quelle est la mesure appropriée des dommages subis par une entreprise qui a perdu un contrat en raison des agissements déloyaux d'un ex-employé? C'est une des questions à laquelle l'Honorable juge Marie-Claude Rigaud devait répondre dans l'affaire Techniverre + inc. c. Papakostas (2022 QCCS 1827). Suivant les enseignements de la Cour d'appel sur la question, elle en vient à la conclusion que la marge bénéficiaire brute est la mesure appropriée des dommages.


La Demanderesse, une entreprise se spécialisant dans la conception, la fabrication et l’installation de produits de verre, de vitrage d'intérieur, de portes et de cloisons, poursuit le Défendeur en dommages. Elle allègue que ce dernier, un ex-employé, a manqué à son devoir de loyauté en utilisant des informations confidentielles à la Demanderesse pour permettre à une tierce partie d'obtenir un lucratif contrat.

La juge Rigaud est saisie de l'affaire. Après en être venue à la conclusion que le Défendeur a effectivement manqué à son devoir de loyauté en utilisant des informations confidentielles à la Demanderesse, elle se tourne vers la question des dommages. À ce chapitre, la juge Rigaud indique que les tribunaux québécois utilisent habituellement la marge bénéficiaire brute de l'entreprise pour ce contrat donné:
[90] Lorsque vient le temps d’indemniser la perte subie en lien avec un contrat précis, les tribunaux ont indiqué que le montant du dommage équivaut à la marge bénéficiaire brute que la partie aurait réalisée sur le contrat. 
[91] Un contrat est fréquemment accordé à un prix moindre que le prix soumissionné, le soumissionnaire étant souvent appelé à réduire sa marge de bénéfice afin d’obtenir le contrat. 
[92] Dans Isolation Denmar inc. c. Isolation P.G.B. inc., le Tribunal a déterminé que la perte subie devrait être calculée sur la valeur du contrat reçue pour le projet en litige et non sur le prix soumissionné. La meilleure preuve du prix du contrat est celle du prix où le contrat a été octroyé. 
[93] La demanderesse évalue cette perte à 100 058,70 $, en appliquant son propre pourcentage de marge bénéficiaire prévu, soit de 22,26 % au montant du contrat octroyé à Vertech soit 449 500,00 $. 
[94] Le Tribunal est d’avis que cette méthode est justifiée et représente les dommages de la demanderesse. 
[95] Dans Construction Gesmonde ltée c. 2908557 Canada inc., la Cour d’appel mentionne que le calcul de la perte dans ce type de dossier consiste à évaluer le profit qu’aurait réalisé la partie privée du contrat si elle l’avait exécuté :
[6] En principe, ces profits doivent s’évaluer en fonction du contrat dont l’intimée a été privée. En d’autres mots, il faut évaluer le profit qu’aurait réalisé l’intimée si elle avait exécuté le contrat. L’arrêt Acier Mutual Inc. c. Fertek inc., 1996 CanLII 6319 (QC CA), J.E. 96-602 (C.A.) n’établit pas que le profit perdu s’établit dans tous les cas en appliquant le taux moyen de profit de l’entreprise au prix du contrat manqué, mais plutôt que, faute d’une preuve suffisamment convaincante du profit qui aurait été réalisé à l’égard de ce contrat, la quantification du préjudice subi peut se faire à partir de la marge généralement réalisée par l’entrepreneur, telle qu’elle appert de ses états financiers. 
[7] De plus, il ne s’agit pas d’accorder le montant que la partie espérait réaliser lorsqu’elle a déposé sa soumission, mais bien celui qu’elle aurait de facto tiré de l’exécution de ce contrat si celui-ci lui avait été octroyé. En d’autres mots, le juge doit faire une projection de ce qui se serait passé.
[96] Dans notre dossier, la preuve a été faite qu’une marge agressive de profit chez la demanderesse se situait à 22 % et qu’en bas de ce seuil, l’approbation des hauts dirigeants de l’entreprise s’avérait nécessaire. La preuve a aussi révélé qu’à moins de circonstances exceptionnelles, qui n’ont pas été mises en preuve ici, jamais la demanderesse ne descendait sous la barre de 22 %. 
[97] Le Tribunal considère que cette preuve, non contestée, est suffisante et concluante.

 Référence : [2022] ABD 214

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