mardi 4 janvier 2022

Une présomption de fait ne peut être déduite d'une pure hypothèse, de la spéculation, de vagues soupçons ou de simples conjectures

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

La présomption de fait, comme son nom l'indique, doit être fondée sur des faits en preuve devant la Cour et non sur la base de déductions découlant d'une hypothèse, de la spéculation, de soupçons ou de conjectures. C'est ce que nous rappelle la Cour d'appel dans l'affaire Michael Bruni Transport inc. c. Aviva compagnie d'assurance du Canada (2021 QCCA 1979).


Dans cette affaire, la Cour est saisie du pourvoi de l'Appelante à l'encontre d'un jugement de première instance qui a conclu, sur la base d’une preuve par présomption, que l’Intimée était bien fondée à refuser d’indemniser l’Appelante à la suite du vol de son camion puisque celui-ci aurait été orchestré par son principal administrateur et dirigeant, M. Michael Bruni.

L'Appelante soumet essentiellement que la juge de première instance a erré dans l'appréciation de la preuve et qu'elle ne pouvait pas tirer des présomptions de fait sur la seule base de vagues soupçons,

Une formation unanime de la Cour composée des Honorables juges Hogue, Cotnam et Cournoyer accueille le pourvoi. Elle indique que la trame factuelle en première instance ne permettait pas à la juge de première instance les présomptions de faits attaquées:
[53] La juge retient que les circonstances du vol sont nébuleuses au point « [d’]induire un soupçon quant à l’implication de Bruni ». Elle n'explique pas sur la base de quels éléments elle en arrive à cette conclusion. Or, tel que le rappelait la Cour suprême dans l'arrêt Hinse précité, une présomption de fait « ne peut être déduite d'une pure hypothèse, de la spéculation, de vagues soupçons ou de simples conjectures ». 
[54] En matière de preuve par présomption, les principes sont clairs :
[59] En matière de présomption de fait, il n'y a pas de déplacement du fardeau de la preuve. Il appartient à celui qui entend démontrer un fait de le prouver. Le fait d'utiliser la preuve par présomption comme moyen de preuve ne modifie pas le fardeau de persuasion. Soit les indices seront suffisamment graves, précis et concordants pour faire une inférence, soit ils ne le seront pas. 
[60] En matière de preuve circonstancielle, en toute première analyse et avant même de faire des inférences, le juge doit se pencher sur les faits soumis en preuve et décider lesquels il retient. Aussi, en présence d'une preuve d'experts contradictoire, le juge doit trancher en faveur de l'une ou l'autre des opinions. En présence d'une preuve d'expert non contredite, il doit dire s'il retient ou non l'opinion. La preuve par présomption s'accommode mal d'approximations, les faits retenus doivent être précis comme le souligne le professeur Royer : 
Une présomption de fait ne peut être déduite d'une pure hypothèse, de la spéculation, de vagues soupçons ou de simples conjectures. Le fait inconnu qu'un plaideur veut établir ne sera pas prouvé, si les faits connus rendent plus ou moins vraisemblable un autre fait incompatible avec celui que l'on veut prouver ou s'ils ne permettent pas d'exclure raisonnablement une autre cause d'un dommage subi. Les indices connus doivent rendre probable l'existence du fait inconnu, sans qu'il soit nécessaire toutefois d'exclure toute autre possibilité.
[55] Les contradictions relevées dans le témoignage de M. Bruni ont par ailleurs peu de conséquences et s’expliquent en partie par le fait que M. Bruni s’exprime plus facilement en anglais qu’en français. 
[56] En l’espèce, la juge semble avoir été influencée par la preuve de faits similaires résultant des déclarations faites volontairement par M. Bruni préalablement au test polygraphique. Ce dernier reconnaît, sans tenter d’éviter les questions, avoir organisé le vol de véhicules personnels dans sa jeunesse. Il explique les circonstances sans détour. En réponse aux questions posées, il affirme qu’il serait beaucoup plus complexe d’envisager une telle stratégie pour un camion. Bien qu’il ait badiné à ce sujet avec des amis camionneurs, il affirme n’avoir jamais envisagé de faire disparaître son camion. Aucun témoin n’a été entendu pour démontrer que la conversation en question était sérieuse ou que des plans concrets avaient été discutés. 
[57] Or, le fait que M. Bruni ait organisé le vol de deux de ses véhicules dans sa jeunesse ne doit pas être déterminant. C’est l’ensemble des faits mis en preuve qui doit révéler des indices graves, précis et concordants de son implication dans le vol du camion. Or, en l’espèce, les faits, lorsqu’ils sont tous considérés, ne satisfont pas à cette exigence et la juge commet une erreur manifeste et déterminante en concluant, sur la base de certains d’entre eux seulement, qu’il en est autrement.

 Référence : [2022] ABD 3

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