jeudi 2 décembre 2021

Le délai-congé du contrat de travail n’est qu’indemnitaire


par Benjamin Dionne
Renno Vathilakis Inc.

Dans l’arrêt Équipements Masse 1987 inc. c. Bisaillon (2021 QCCA 1500), la Cour d’appel devait se pencher sur une fin d’emploi sans délai de congé. La situation était particulière en ce que l’employé s’était rapidement retrouvé un emploi (1 mois) où il obtient un salaire du plus du double de l’emploi précédent.


Ainsi, le simple calcul de mitigation des dommages généralement effectué ne pouvait facilement être appliqué. Il demeurait toutefois une myriade de facteurs difficilement quantifiables telle la nature de l’emploi, les possibilités d’avancement, etc. :
[49] Pour conclure de la sorte, le Tribunal retient ce qui suit :

- Le nouvel emploi de Bisaillon pour une entreprise de plus grande importance l’a replacé dans un poste de même nature que celui qu’il a occupé pendant plus de quinze ans chez Masse, à savoir celui de répartiteur.

- Bisaillon explique que ses conditions de travail se sont dégradées dans la mesure où, comme à ses débuts chez Masse, ses heures de travail dépassent maintenant largement les 40 heures par semaine.

- Son travail s’exerce dans un ancien entrepôt désaffecté, qu’il a dû nettoyer et rénover en faisant du bénévolat pour son nouvel employeur.

- L’emploi occupé présentement par Bisaillon représente moins de défis et d’intérêt, son rôle dans l’entreprise se limitant à agir comme répartiteur alors que comme directeur général, son champ d’action était beaucoup plus large et satisfaisant.

- Bisaillon a très certainement perdu quelque chose en se replaçant dans une entreprise de grande envergure, dont il ne pourra jamais envisager de devenir propriétaire, alors que cette possibilité lui était offerte chez Masse où il représentait la relève de l’entreprise.

- Bisaillon a indiqué au Tribunal qu’il avait accepté un salaire inférieur à celui du marché et même des offres d’emploi alléchantes pour demeurer chez Masse alors qu’on lui faisait miroiter la possibilité qu’il devienne le propriétaire de l’entreprise lorsque Masse, qui n’avait aucune relève, voudrait la céder.

Le juge de première instance avait conclu qu’une indemnité de 30 000$ était néanmoins justifiée, vu la manière dont s’était déroulé le congédiement et l’ensemble des conditions du nouvel emploi de l’intimé, lesquelles étaient moins avantageuses que celles du précédent.

Ainsi, il ressort des motifs du jugement de première instance qu’il ne voulait pas que l’employeur s’en sorte trop facilement :

[51] En effet, il ne faudrait pas que Masse profite de la bonne fortune de Bisaillon pour conclure trop rapidement qu’il y a eu mitigation complète des dommages. D’ailleurs, les tribunaux ont déjà conclu dans les affaires Ménard c. CPE La Grande Envolée, Mulhearn c. Bombardier inc. et Thomas c. Mckee, qu’une compensation pouvait être accordée malgré une mitigation en apparence complète.

 La Cour d’appel a renversé cette décision, déterminant qu’il s’agissait d’une erreur de droit :

[29] Soit dit avec égards, cette détermination est entachée d’erreurs de droit. La principale consiste à avoir fait abstraction du caractère essentiellement indemnitaire du montant payable au cas de défaut de donner le préavis requis par l’article 2091 C.c.Q.

[30] Voici de quoi il retourne dans le cas à l’étude.

[31] Après s’être retrouvé sans emploi pendant environ 1 mois, c’est-à-dire de la mi-août 2017 à la mi-septembre de la même année, ce que reconnaissent les parties, M. Bisaillon a obtenu un emploi lui ayant rapporté mensuellement, pendant 17 mois, plus du double de ce que lui aurait procuré son travail pour le compte d’Équipements pendant cette même période. Même en tenant compte de la perte de certains avantages et d’une satisfaction moindre par rapport au nouvel emploi, cette augmentation substantielle de salaire, à mon avis, compense largement les inconvénients auxquels le juge se réfère au paragraphe 49 de son jugement. […]

[34] Dans ce contexte, considérant la vocation essentiellement indemnitaire des sommes payables au titre du délai-congé, je parviens à la conclusion qu’est entièrement non fondée la réclamation de M. Bisaillon à ce chapitre.

[35] Au surplus et avec égards, j’estime que les raisons invoquées au paragraphe 49 du jugement entrepris ne sauraient en droit justifier l’octroi de l’indemnité fixée arbitrairement à 30 000 $. Quant à celles figurant au paragraphe 47, en l’occurrence les circonstances et la manière dont s’est déroulé le congédiement, elles relèvent de l’examen de la réclamation pour dommages moraux et non de celui portant sur l’indemnité due pour défaut de préavis.

Commentaires

Est-ce qu’un haut salaire est tout ce qui importe dans un emploi? La Cour d’appel semble le laisser entendre. Même au double de salaire (avant impôt), l’employé doit maintenant travailler un plus grand nombre d’heure, dans un emploi moins stimulant, dans une entreprise où il ne pourra jamais devenir co-propriétaire (ce qui était son aspiration première).

Certes, le juge de première instance importe des notions de dommages punitifs ou de dommages moraux dans son analyse, ce qui est une erreur de droit. Toutefois, la Cour d’appel conclut surtout (au paragraphe 31) que la hausse de salaire « compense largement les inconvénients » subis par l’employé. Il s’agit pourtant ici d’une conclusion de fait, et non pas de droit, laquelle devait commander la déférence de la Cour.

Référence : [2021] ABD 480

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