lundi 27 septembre 2021

La Cour supérieure confirme que les enregistrements audios d'une audition ne peuvent être diffusés

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

La question est particulièrement d'actualité à l'ère des auditions par visio-conférence. L'article 14 C.p.c. interdit l'enregistrement sonore ou vidéo des auditions (sauf pour les journalistes), en plus d'en interdire la diffusion. La personne qui contrevient à ces règles est passible d'outrage au tribunal, mais peut également se voir frappé d'une injonction comme le démontre la décision récente rendue par l'Honorable juge Silvana Conte dans l'affaire Procureur général du Québec c. Juste (2021 QCCS 3926).


La juge Conte est saisie de la demande du Procureur général du Québec d'émettre une injonction interlocutoire contre la Défenderesse pour l'empêcher de diffuser des enregistrements sonores des certaines auditions sur son site web.

La Défenderesse conteste cette demande et fait valoir que l'article 14 ne vise que les journalistes, en plus d'être discriminatoire à l'égard des personnes souffrant d'un handicap visuel qui ne peuvent lire les transcriptions.

Après analyse, la juge Conte confirme que l'article 14 s'applique à tous et que l'interdiction de diffuser les enregistrements sonores fait partie intégrante d'une saine administration de la justice. Elle émet donc l'ordonnance recherchée:
[21] Ces mesures ne sont pas nouvelles et existent depuis le 16 mai 2005 lors de l’adoption des articles 38.1 et 38.2 Règlement (2005) modifiant le Règlement de procédure civile de la Cour supérieure, communément appelé « règles de pratique », ainsi que les articles 8A et 8B des Règles modifiant les Règles de procédure de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle (2002) dont le libellé est presque identique. 
[22] Avant son adoption en mai 2005, les journalistes pouvaient, entre autres, diffuser des extraits d'enregistrements officiels des audiences, enregistrements qu'ils s'étaient préalablement procurés auprès du service du greffe de la Cour. Ils pouvaient enregistrer pour leurs fins personnelles les audiences, mais il leur était toutefois interdit de diffuser leurs propres enregistrements. 
[23] L’argument de la défenderesse ignore les mesures prises depuis 2005 ayant pour but de limiter la tenue d'entrevues et la prise d'images à des endroits spécifiques dans les palais de justice et d’interdire la diffusion des enregistrements sonores officiels des audiences de la Cour supérieure. 
[24] Dans Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), la Cour suprême conclut que les mesures prises avaient un effet positif sur le maintien de la saine administration de la justice, en favorisant la sérénité des débats et le décorum et en aidant à diminuer le plus possible la nervosité et l’angoisse inhérentes que ressentent naturellement les personnes appelées à témoigner devant les tribunaux. 
[25] De plus, en ce qui a trait aux enregistrements sonores des audiences, la Cour souligne qu’ils sont établis dans le but de préserver la preuve et leur diffusion minerait un des objectifs que la publicité des débats est censée garantir : l’intégrité du système judiciaire. La Cour suprême énonce ce qui suit : 
[83] Les enregistrements sonores officiels des audiences reproduisent les voix de personnes qui ont participé aux débats devant le tribunal, sous contrainte morale ou légale. Ces personnes ne sont pas libres de refuser de comparaître. La personne —partie ou témoin — convoquée pour déposer devant le tribunal doit adresser son témoignage à celui-ci, dans la salle d’audience, non pas à l’auditoire des médias, à l’extérieur de cette salle. La diffusion des enregistrements sonores des audiences changerait le forum devant lequel le témoignage est donné. Il est certain que, sauf lorsqu’il y a huis clos ou interdiction de publication, les médias peuvent — et même doivent — diffuser les informations qu’ils recueillent lors des audiences. Toutefois, les salles d’audience ont de tout temps été des lieux hautement réglementés. Cette réglementation garantit notamment que les témoins pourront participer le plus sereinement possible à la recherche de la vérité. Le fait d’avoir en main une copie de l’enregistrement d’une audience n’autorise pas à modifier l’environnement dans lequel celle-ci se déroule. 
[84] Les enregistrements sonores des audiences sont établis dans le but de préserver la preuve. Ce mode de captation et de conservation des témoignages est une solution de rechange moderne à leur notation sténographique dans la salle d’audience. Le mécanisme d’enregistrement employé dans les salles d’audience doit être autorisé par le gouvernement et son utilisation est réservée au personnel désigné par le tribunal ou le greffier (m.i. PGQ, par. 35; art. 324 et suiv. C.p.c.; art. 540, 646 et 801 C. cr.; Vilaire c. Association professionnelle des sténographes officiels du Québec, 1999 CanLII 13207 (QC CA), [1999] R.J.Q. 1609 (C.A.)). Les médias ont le droit d’utiliser ces enregistrements pour préparer leurs reportages de façon à les rendre plus précis, mais ils ne peuvent pas en faire un usage qui aurait des conséquences sur les témoignages eux-mêmes.
Référence : [2021] ABD 383

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