mercredi 21 avril 2021

Rappel quant au pouvoir de la Cour de nommer d'office un expert, même au procès

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

L'article 234 C.p.c. permet au tribunal de nommer d'office un expert, et ce en tout état de cause. Ainsi, même au procès, un juge peut s'autoriser de cet article pour nommer un expert lorsqu'il le juge nécessaire pour trancher le litige. L'affaire Scene Holding Inc. c. Galeries des Monts inc. (2021 QCCS 1372) offre une belle illustration du principe.


Dans cette affaire, l'Honorable juge Serge Gaudet est saisi d'une affaire où la Demanderesse poursuit la Défenderesse en dommages au motif que sa propriété aurait été contaminée par des polluants provenant du site de la Défenderesse qui est voisin du sien, dans la région de Saint-Sauveur.

Le problème c'est que le juge Gaudet constate au procès que les expertises réciproques des parties sont difficiles à comprendre et semblent incomplètes sur certaines questions. Il décide donc d'exercer le pouvoir que lui confère l'article 234 C.p.c. pour nommer un expert de la Cour pour l'assister à faire la part des choses sur les questions techniques:
[13] Considérant l’incapacité des experts entendus jusqu’ici, malgré leurs efforts en ce sens durant les neuf premiers jours de témoignages, à expliquer en termes suffisamment clairs pour le soussigné et avec des références précises aux documents pertinents, la méthodologie suivie et le raisonnement par lequel ils arrivent à leurs conclusions et à leurs opinions, ce qui est notamment attribuable à la complexité même des processus chimiques et hydrologiques en cause et au très grand nombre de données à prendre en considération s’étendant sur une longue période de temps;

[14] Considérant qu’il est pratiquement impossible de comprendre les rapports ou expertises en question, à moins de savoir où sont situés précisément les forages ou puits d’observation en cause, et que l’emplacement de ceux-ci est indiqué sur de très nombreuses cartes, lesquelles, même si elles sont distinctes et se trouvent dans des rapports différents, sont souvent identifiées par le même numéro de dessin;

[15] Considérant que l’experte en caractérisation des sols de la demanderesse a indiqué lors de son témoignage qu’il lui avait fallu plusieurs semaines à temps plein au printemps 2020 afin de rassembler les données pertinentes parmi la masse de documentation déposée au dossier de la Cour;

[16] Considérant que la demanderesse a contesté au moment de l’audience le statut d’expert de l’expert de la défenderesse au motif que ce dernier a été retenu pour effectuer pour elle des travaux de décontamination et que le témoignage de ce dernier est entendu sous réserve de cette objection;

[17] Considérant l’article 234 C.p.c. qui permet au Tribunal, à tout moment de l’instance, de nommer, même d’office, un expert s’il l’estime nécessaire pour trancher le litige;

[18] Considérant que, même si une telle procédure doit être utilisée avec circonspection, car cela impose des frais et des délais supplémentaires aux parties, un juge d’instance doit pouvoir y faire appel lorsque le dossier met en cause des questions ou des expertises hautement techniques et difficiles à comprendre ou à analyser et que cela est nécessaire pour que justice soit rendue entre les parties;

[19] Considérant que des auteurs sont d’ailleurs d’avis que la rédaction de l’actuel article 234 C.p.c., plus large que l’ancien art. 414 C.p.c., devrait permettre une utilisation plus fréquente de l’expertise judiciaire qui ne revêt donc plus un caractère aussi exceptionnel que par le passé;

[20] Considérant que le soussigné estime que cette procédure est ici clairement indiquée étant donné le caractère hautement technique des rapports et expertises soumis en preuve jusqu’ici, de la masse de données en cause dans la présente affaire et de leur interprétation qui s’avère souvent des plus délicates;
Référence : [2021] ABD 158

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