mercredi 25 mars 2020

Une demande de suspension de l'instance répond de deux critères: la saine administration des ressources judiciaires et le préjudice causé aux parties

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

L'article 49 C.p.c. donne à un juge de la Cour supérieure ou la Cour du Québec un vaste éventail de pouvoirs discrétionnaires, dont celui de suspendre une instance civile même hors des cas expressément prévus au Code de procédure civile. Reste que, comme le souligne l'Honorable juge Martin Sheehan dans l'affaire Chélin c. Martel (2020 QCCS 1023), cette discrétion doit être exercée judiciairement, c'est-à-dire en prenant en considération la saine administration de la justice et le préjudice causé aux différentes parties au litige.


Dans cette affaire, les Défendeurs demandent à la Cour la suspension de l'instance introduite par la Demanderesse jusqu’à ce qu’un jugement final soit rendu à l’égard d’une demande en contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal administratif du travail. Ils font valoir que les deux plaintes rejetées par le TAT s’appuyaient sur des arguments similaires à ceux qui sous-tendent la réclamation de la Demanderesse dans la présente affaire. Ils en concluent qu’une saine administration de la justice requiert de suspendre l’instance afin d’éviter des jugements contradictoires ou le dédoublement des ressources nécessaires à leur adjudication.

Saisi de cette demande, le juge Sheehan indique d'abord que l'article 49 C.p.c. lui donne le pouvoir discrétionnaire de prononcer la suspension de l'instance dans les circonstances qui le justifient:
[22] Plus particulièrement, l’on reconnaît que l’article 49 C.p.c. peut servir d’assise à une demande de suspension qui n’est pas fondée sur l’article 156 C.p.c. (affaire susceptible d’être réglée à l’amiable) ou l’article 212 C.p.c. (demande devant la Cour du Québec ayant le même fondement ou soulevant les mêmes points qu’une demande pendante devant la Cour supérieure). 
[23] Ce pouvoir général permet au Tribunal de suspendre une instance s’il est d’avis qu’une saine administration de la justice le justifie. 
[24] Le pouvoir de suspendre une instance est une mesure de gestion au sujet de laquelle le juge saisi jouit d’une large discrétion. Celle-ci doit néanmoins être exercée dans l’intérêt de l’administration de la justice et des parties.
Il souligne cependant que cette discrétion doit s'appuyer sur l'analyse de deux facteurs, nommément la saine administration de la justice et le préjudice qui pourrait être causé aux parties:
[26] Conscient de ce qui précède, un juge saisi d’une demande en suspension d’instance doit soupeser deux facteurs :
26.1. La saine administration des ressources judiciaires : Les ressources judiciaires sont limitées. Il est important qu’elles soient utilisées à bon escient. En effet, « [à] défaut de moyens efficaces et accessibles de faire respecter les droits, la primauté du droit est compromise ». Ainsi, on doit éviter la multiplication inutile des recours qui forceraient les parties et le système de justice à consacrer du temps, des énergies et des dépenses importantes à un dossier lorsqu’il est probable que ce dossier n’ait plus d’objet une fois le jugement rendu dans le dossier en faveur duquel on demande une suspension. Lorsque les dossiers sont interconnectés, la suspension minimise aussi le risque de jugements contradictoires. Par ailleurs, pour que la suspension soit dans l’intérêt de la justice, il faut que les dossiers soient intimement liés de sorte que le sort ultime du recours suspendu dépende, en grande partie, de l’autre. Une suspension n’est pas appropriée lorsque le jugement rendu dans l’autre dossier n’apporte pas de solution totale ou partielle au recours dont on demande la suspension. 
26.2. Le préjudice causé aux parties : Le droit de chaque partie à une audition à l’intérieur d’un délai raisonnable est essentiel à une bonne administration de la justice. « L’intérêt de la justice commande que les justiciables voient leurs droits reconnus dans les meilleurs délais. » La philosophie qui anime les règles de procédure « requiert que les recours, une fois intentés, progressent ». Tout délai entraîne un préjudice qui ne peut pas toujours être compensé par l’octroi d’intérêts. À titre d’exemple, la suspension ou le report d’une audition peuvent entraîner des difficultés pour une partie de faire la preuve des faits nécessaires à démontrer un droit d’action ou à s’y opposer.
Après analyse de ces facteurs, le juge Sheehan en vient à la conclusion que la suspension de l'instance n'est pas appropriée en l'instance.

Référence : [2020] ABD 122

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