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On dira généralement que seuls les droits réels sont susceptibles de publication au registre immobilier. Ce n'est cependant pas tout à fait vrai selon une décision récente de la Cour d'appel. En effet, dans Desjardins Assurances générales inc. c. Malo (2020 QCCA 462), la Cour d'appel en vient à la conclusion que l'article 2939 C.c.Q. permet la publication au registre d'une ordonnance de type Mareva. Il s'agit à ma connaissance de la première décision qui abonde dans ce sens et elle est donc digne de mention.
Pour nos fins, les faits de l'affaire importent peu. Retenons simplement que les Appelantes ont obtenu dans cette affaire des ordonnances d'injonction Mareva, Anton Piller et Norwich contre les Intimés. Les Appelantes veulent faire publier ces ordonnances au registre immobilier contre certains immeubles afin que cette ordonnance soit opposable à tout acheteur potentiel.
Dans un jugement de première instance étoffé, l'Honorable juge Sylvain Lussier en vient à la conclusion que l'article 2939 C.c.Q. - lequel permet la publication des "restrictions au droit de disposer qui ne sont pas purement personnelles" - doit se lire en conjonction avec l'article 2938 C.c.Q. et qu'il ne permet donc pas la publication d'une ordonnance de type Mareva.
Au nom d'une formation unanime de la Cour d'appel, l'Honorable juge Stéphane Sansfaçon indique que le juge de première instance s'est mal dirigé sur la question et qu'une ordonnance de type Mareva est effectivement susceptible de publication à l'encontre d'un immeuble puisqu'il ne s'agit pas d'une ordonnance purement personnelles:
[18] Avec égards, je suis d’avis que l’article 2939 C.c.Q. admet la publicité des ordonnances de type Mareva.
[19] Les injonctions de type Mareva ordonnent à une personne de ne pas disposer des biens. Elles sont donc dirigées contre une personne et non à l’égard d’un immeuble. Dans Aetna Financial Services, la Cour suprême écrit :
Bien que l'injonction Mareva soit indubitablement de nature personnelle, cela n'a pas d'importance que les tribunaux l'aient parfois qualifiée de réelle, car l'injonction n'accorde aucune priorité au créancier en puissance, étant donné que ce serait, pour reprendre les termes du juge Goff, [TRADUCTION] "récrire ... le droit en matière d'insolvabilité". Les créanciers chirographaires qui ont obtenu une injonction Mareva ne sauraient occuper un rang privilégié par rapport à d'autres demandeurs.
[Références omises]
[20] Ces ordonnances interdisent à celui à qui elles sont adressées de disposer de ses biens, mais n’attribuent pas à celui qui les réclame plus de droits dans les biens qu’il en aurait si elles ne lui étaient pas accordées. Malgré qu’elles ne créent pas de droits en faveur de celui qui l’obtient à l’égard des biens de la personne qu’elles visent, ces ordonnances ont tout de même un effet indirect sur les biens de cette personne et à l’égard des tiers susceptibles de les acquérir. Résumant de manière générale la situation des ordonnances de type Mareva au Canada, la Cour suprême décrit leur objet :
Le point essentiel de l'action Mareva est le droit de geler les biens exigibles qui se trouvent dans le ressort quel que soit le lieu de résidence du défendeur, pourvu naturellement qu'il existe entre le demandeur et le défendeur une cause d'action qui puisse se régler devant les tribunaux (…)
[Soulignement ajouté]
[21] De même, notre Cour, dans Thibault c. Empire (L'), compagnie d'assurance-vie, qualifie ce type d’ordonnance de « freezing order » :
[56] Mes Danielle Ferron, Mathieu Piché-Messier et Lawrence A. Poitras, L’injonction et les ordonnances Anton Piller, Mareva et Norwich, Montréal, LexisNexis, 2008, p. 217, offrent une excellente définition de l'injonction Mareva :
L’injonction Mareva est souvent qualifiée de freezing order par nos confrères de common law. Elle permet de geler des actifs visés entre les mains du possesseur, que ce soit le défendeur lui-même ou une tierce partie. Elle vise généralement les situations de fraude, de détournement et de dissipation douteuse d'actifs. Cette ordonnance d’injonction n’emporte pas une dépossession des actifs ciblés, mais plutôt l’impossibilité pour la partie poursuivie de se départir de ceux-ci. On cherche à empêcher la disparition des actifs du défendeur, avant le jugement final, pour éviter que celui-ci ne soit privé de ses effets.
[Soulignement dans l’original]
[...]
[36] Or, l’ordonnance de type Mareva n’est pas purement personnelle aux appelantes puisqu’elle affecte non seulement les intimés nommément visés, mais aussi tout acquéreur éventuel ayant connaissance de l’ordonnance, et donc par ricochet les biens des intimés qui sont par son effet « gelés ». Un des attributs du droit de propriété des intimés, l’abusus, soit le droit de disposer librement du bien, leur est alors temporairement retiré, ce qui n'est pas le cas lorsque la restriction au droit de disposer découlerait d’une promesse de vente en leur faveur, ou d’un pacte de préférence dont elles seraient les bénéficiaires (art. 1397 C.c.Q.), lesquels droits ne peuvent être invoqués que par celui qui en est le bénéficiaire et uniquement à l’encontre de celui qui en est le débiteur, donc entre les seules parties et non à l’encontre des tiers.
[37] Ainsi, l’ordonnance de type Mareva n’est pas soumise à la publicité, mais elle y est admise, tel que le permet l’article 2939 C.c.Q. Les restrictions qu’elle porte aux droits de disposer peuvent donc être publiées aussitôt que l’ordonnance est rendue. Son inscription sur le registre foncier à l’égard des biens des intimés, bien qu’elle n’accorde aucun droit particulier en faveur des appelantes à l’égard de ces biens, la rendra opposable aux tiers qui seraient susceptibles d’en faire l’acquisition, d’où l’utilité de sa publication (art. 2943 C.c.Q.).
[38] Je conclus que les ordonnances de type Mareva sont des restrictions au droit de disposer qui ne sont pas purement personnelles au sens de l’article 2939 C.c.Q. et qu’elles sont admises à la publicité, sans besoin que cette publication soit autorisée au préalable par le tribunal. Je propose donc d’accueillir l’appel et d’infirmer le jugement entrepris, avec frais de justice.
Tel qu'il appert des extraits cités ci-dessus, le juge Sansfaçon est d'avis que l'ordonnance Mareva, puisqu'elle limite le droit à la libre disposition des biens - incluant des biens immobiliers, le cas échéant - est susceptible de publication.
Voilà une décision très importante en la matière.
Référence : [2020] ABD 121
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