mardi 24 mars 2020

Pour qu'un séquestre nommé en vertu de l'article 243 LFI puisse procéder à la vente forcée d'un immeuble, les dispositions relatives aux droits hypothécaires prévues au Code civil du Québec doivent être respectées

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Une certaine controverse jurisprudentielle règne présentement au Québec quant à la question de savoir si un séquestre nommé en vertu de l'article 243 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité doit avoir respecté les dispositions du Code civil du Québec relatives aux droits hypothécaires afin de faire vendre un immeuble. Dans l'affaire de la Mise sous séquestre de Mécanique NS inc. (2020 QCCS 1010), l'Honorable juge Charles Ouellet en vient à la conclusion que la réponse à cette question est affirmative.



Dans cette affaire, la Requérante s'adresse à la Cour pour que le séquestre nommé en vertu de l'article 243 LFO soit autorisé à vendre un immeuble suivant les modalités de l’offre d’achat qu’il a reçue. Elle demande au Tribunal de déclarer que la transaction à intervenir aura les effets d’une vente forcée au sens des articles 2791, 2794 et 3069 C.c.Q.

Le juge Ouellet souligne d'abord que les modalités prévues au Code civil du Québec pour l'exercice des droits hypothécaires ont été respectées, ce qui est important puisqu'il est d'avis que le séquestre nommé en vertu de l'article 243 LFI ne bénéficie pas d'un recours indépendant créé par cet article:
[13] Le Tribunal estime que l’article 243 LFI ne crée pas une procédure d’exécution de garantie qui permet de court-circuiter le droit provincial relatif à l’exécution des garanties. Le Tribunal partage la lecture de l’arrêt Lemare Lake Logging Ltd que fait le Juge Dumas dans Média5 Corporation. Il nous semble que l’arrêt de la Cour suprême est clair sur le sujet. Notamment, la Cour suprême écrit : «
[30] L’article 243 accorde au tribunal le pouvoir de nommer un séquestre capable d’agir partout au Canada, ce qui élimine la nécessité de demander la nomination d’un séquestre aux tribunaux de plusieurs ressorts. 
[…] 
[32] Le régime relatif au séquestre national n’a pas pour effet d’écarter le pouvoir du créancier garanti de faire nommer un séquestre, à titre privé ou aux termes d’une ordonnance judiciaire rendue sous le régime d’une loi provinciale ou de toute autre loi fédérale. Cependant, lorsque la personne ainsi nommée prend en sa possession ou sous sa responsabilité la totalité ou la quasi‑totalité des stocks, des comptes à recevoir ou des autres biens d’un débiteur insolvable ou failli, elle a qualité de « séquestre » pour l’application de la partie XI de la LFI et elle doit respecter les dispositions de cette partie : voir le par. 243(2). 
[…] 
[47] En fait, le caractère discrétionnaire du recours prévu à l’art. 243 — comme en témoigne le fait que, aux termes de la disposition, le tribunal « peut » nommer un séquestre si cela est « juste ou opportun » — vient appuyer une interprétation plus étroite de l’objet de cette disposition. Le créancier garanti n’a pas droit à la nomination d’un séquestre. L’article 243 constitue plutôt une disposition permissive en permettant au tribunal de nommer un séquestre si cela est juste ou opportun. L’atteinte d’une province à un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi fédérale ne suffit pas en soi pour établir l’existence d’une entrave à la réalisation d’un objectif fédéral : COPA, par. 66; voir également 114957 Canada Ltée. 
[48] La présente affaire se distingue donc nettement de l’affaire Banque de Montréal c. Hall, 1990 CanLII 157 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 121, où la Cour a statué qu’une sûreté établie en vertu d’une loi fédérale ne pouvait pas, au point de vue constitutionnel, être assujettie aux procédures d’exécution des sûretés que prescrit une loi provinciale. Contrairement au recours automatique en exécution dont il était question dans cette affaire, qui permettait à la banque de saisir les biens meubles en cas de défaut de paiement sans devoir s’adresser au tribunal, la nomination d’un séquestre aux termes de l’art. 243 n’est pas obligatoire. Qui plus est, contrairement à ce qu’on a vu dans Hall, le recours en nomination d’un séquestre prévu à l’art. 243 ne saurait créer un « code complet » : p. 155. Ni la disposition en cause, ni la LFI dans son ensemble, ne permettent de conclure que l’art. 243 se veut un recours exhaustif qui exclut l’application des lois provinciales. La disposition elle‑même prévoit qu’un séquestre peut être nommé aux termes d’un contrat de garantie ou sous le régime de toute autre loi fédérale ou provinciale; aucun droit à la nomination d’un séquestre national n’y est créé : al. 243(2)b). Comme l’a fait observer notre Cour dans l’arrêt COPA, au par. 66, « une loi fédérale permissive, sans plus, ne permettra pas d’établir l’entrave de son objet par une loi provinciale qui restreint la portée de la permissivité de la loi fédérale ». 
[49] Tout doute quant à savoir si l’art. 243 était censé écarter une loi provinciale comme la SFSA est encore atténué par le par. 72(1) de la LFI, lequel prévoit ce qui suit :
72. (1) La présente loi n’a pas pour effet d’abroger ou de remplacer les dispositions de droit substantif d’une autre loi ou règle de droit concernant la propriété et les droits civils, non incompatibles avec la présente loi, et le syndic est autorisé à se prévaloir de tous les droits et recours prévus par cette autre loi ou règle de droit, qui sont supplémentaires et additionnels aux droits et recours prévus par la présente loi.
Cette disposition démontre elle aussi que le Parlement a explicitement reconnu que les lois provinciales continuent à s’appliquer dans un contexte de faillite et d’insolvabilité, sauf dans la mesure où elles sont incompatibles avec la LFI : voir Société de crédit commercial GMAC — Canada c. T.C.T. Logistics Inc., 2006 CSC 35 (CanLII), [2006] 2 R.C.S. 123, par. 46‑47. 
[…] 
[67] L’examen qui précède confirme que l’art. 243 a simplement pour objet l’établissement d’un régime qui permet la nomination d’un séquestre national, ce qui élimine la nécessité de demander la nomination d’un séquestre aux tribunaux de plusieurs ressorts : voir Wood, p. 466‑467. Les modifications apportées à la LFI en 2005 et en 2007 ont établi clairement que le séquestre intérimaire est nommé à titre temporaire et jouit de pouvoirs plus restreints, comme il était prévu à l’origine, mais elles ont conféré au tribunal le pouvoir de nommer un séquestre habilité à agir à l’échelle nationale, ce qui favorise l’efficience et supprime la nécessité de nommer un séquestre dans chacun des ressorts où se trouvent les biens du débiteur. Sarra, Morawetz et Houlden expliquent ce qui suit :
[traduction] L’article 243 habilite le tribunal, auquel est assimilé, selon l’art. 2, tout juge qui exerce les pouvoirs conférés au titre de la LFI, à nommer un séquestre pouvant agir à l’échelle nationale, ce qui élimine la nécessité de demander la nomination d’un séquestre aux tribunaux de plusieurs ressorts. Le séquestre national nommé sous le régime de la LFI est habilité à agir dans l’ensemble du Canada, ce qui favorise l’efficience puisque l’on supprime la nécessité de nommer un séquestre dans chacun des ressorts où se trouvent les biens du débiteur. [Nous soulignons; p. 1037.]
[68] L’article 243 visait ainsi l’établissement d’un régime national de mise sous séquestre. L’objectif consistait à éviter la multiplicité des procédures et l’inefficacité qui en résultait. Rien dans la preuve ne permet de conclure que cette disposition devait faire échec aux exigences de fond et de procédure énoncées dans les lois en vigueur dans la province où la demande de nomination est présentée. Des considérations générales de célérité et de possibilité d’agir en temps opportun, qui constituent certes une préoccupation valide dans tout processus de faillite ou de mise sous séquestre, ne peuvent servir à écarter l’objet précis de l’art. 243 et à étendre artificiellement son objet pour créer un conflit avec une loi provinciale. Interpréter plus largement l’objet de l’art. 243, en l’absence d’une preuve claire de l’intention du législateur d’élargir l’objectif de la loi, est incompatible avec l’approche restrictive qu’il convient d’adopter à l’égard de la doctrine de la prépondérance ainsi qu’avec la règle d’interprétation constitutionnelle fondamentale dont nous avons déjà fait état : par. 20‑21. Les notions vagues et imprécises que sont la possibilité d’agir en temps opportun ou l’efficacité ne peuvent constituer un objectif fédéral général tel qu’il empêcherait la coexistence d’une loi fédérale avec les lois provinciales telle la SFSA.»
[Emphases et soulignements ajoutées] 
[14] Soulignons qu’au Québec, l’article 2767 C.c.Q. prévoit les conditions à satisfaire pour abréger les délais de vente.
Commentaire:

La Cour d'appel a accordé la permission d'en appeler dans l'affaire Media5 Corporation citée par le juge Ouellet et elle devrait en principe se prononcer sur la portée de l'article 243 LFI au cours des mois qui viennent. 

Référence : [2020] ABD 120

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