samedi 28 mars 2020

Par Expert: le fait qu'une partie a déjà commencé le travail avec ses experts n'est pas - en soi - un motif valable d'opposition à une expertise commune

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Pleine divulgation, je n'aime pas l'expertise unique. Si je concède qu'elle fonctionne bien dans certains dossiers, elle cause selon moi habituellement beaucoup plus de problèmes qu'elle ne règle. Elle ne coûte pas non plus moins chère pour les parties, au contraire. Reste que personne n'a demandé mon opinion sur la question et que le mandat du législateur est clair: plus d'expertises uniques. Dans l'affaire Développements Pierrefonds inc. c. Ville de Montréal (2020 QCCA 428), l'Honorable juge Stéphane Sansfaçon écarte un argument souvent utilisé pour mettre de côté l'expertise unique, i.e. le fait qu'une des parties (ou les deux) a déjà mandaté un expert et que ce dernier a commencé son travail.



Dans cette affaire, les Requérantes recherchent la permission d'en appeler d'une décision rendue par l'Honorable juge Marie-Anne Paquette qui impose des expertises communes. Elles font valoir que cette décision leur cause un préjudice important. 

Un des motifs de contestation des Requérantes est qu'elles ont déjà mandaté des experts et que le travail de ceux-ci est avancé (et même dans certains cas terminé).

Le juge Sansfaçon, saisi de la demande de permission, est d'avis qu'il n'est pas justifié de permettre un appel. Il souligne à cet égard que l'argument de l'expert déjà retenu ne peut tenir:
[14] Les requérantes plaident avec vigueur que, vu le nombre imposant de documents préparés par un grand nombre d’entreprises de diverses natures, lesquels seraient tous, selon elles, en matière environnementale, elles subiront un préjudice important puisqu’elles devront payer un nouvel expert afin de reprendre les expertises déjà complétées. En l’espèce, cet argument n’emporte pas mon adhésion. D’abord, aucune démonstration n’a été faite à la juge que les expertises réalisées aux fins du développement des terrains peuvent servir dans le cadre de la réclamation en dommages-intérêts. Je comprends que ces expertises n’ont pas été confectionnées à cette fin. Il eut sans doute été facile de démontrer que l’expertise X ou Y répondait, au moins dans une certaine mesure, au besoin de la cause, mais cela n’a pas été fait. Difficile, dans les circonstances, de conclure que les ordonnances sont déraisonnables, qu’elles causent aux requérantes un préjudice irréparable ou même qu’il y a atteinte au principe de la proportionnalité. 
[15] Je rappelle aussi que l’article 232 C.p.c. prévoit que les parties ne peuvent se prévaloir de plus d’une expertise par discipline ou matière. Aucune démonstration n’a été faite à la juge qu’une des nombreuses expertises déjà préparées, pouvait répondre à cette exigence. 
[16] Sur cette question du travail d’expert déjà réalisé, rien n’empêche d’ailleurs les parties de transmettre aux experts qui seront désignés le travail déjà accompli. La collaboration souhaitée par le législateur au C.p.c. ne l’interdit aucunement, bien au contraire, cela dit, sans vouloir lier de quelconque façon l’indépendance de ces experts ainsi désignés.
Référence : [2020] ABD Expert 13

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