jeudi 19 mars 2020

La contravention à une ordonnance de sauvegarde peut mener à la forclusion du droit de plaider

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Contrairement à ce que l'on entend parfois, l'outrage au tribunal n'est pas la seule sanction possible au non-respect d'une ordonnance d'injonction ou de sauvegarde. Il y en a plusieurs autres, dont la forclusion. C'est en effet ce que souligne l'Honorable juge Yves Poirier dans l'affaire North American (Boucherville) Corp. c. 9330-8195 Québec inc. (Industria) (2020 QCCS 895).


Dans cette affaires, les Demanderesses s'adressent à la Cour pour demander la forclusion de plaider de la Défenderesse au motif que celle-ci n'a pas respecté une ordonnance de sauvegarde qui lui ordonne de payer mensuellement son loyer.

En août 2019, la Cour supérieure (l'Honorable juge Pierre Nollet) émet l'ordonnance de sauvegarde en question, laquelle ordonne à la Défenderesse de payer son loyer à partir de septembre 2019. L'ordonnance prévoit la possible forclusion de plaider pour la Défenderesse si elle ne respecte pas l'ordonnance.

Saisi de la demande, le juge Poirier confirme qu'il est possible de demander la forclusion de plaider d'une personne qui ne respecte pas une ordonnance de sauvegarde. Son défaut doit cependant être volontaire et substantiel pour justifier une telle sanction:
[12] La Cour d’appel dans l’affaire Eggspectation traitant de faits relativement similaires (défaut de paiement de loyer, ordonnance de sauvegarde prévoyant le paiement et demande de forclusion) reconnait le droit d’imposer cette sanction considérant le défaut du locataire entrainant l’application d’une obligation préjudicielle :
« [3] Avant d'imposer une sanction aussi sérieuse que le rejet du droit de présenter une défense et d'y joindre une demande reconventionnelle pour défaut de se conformer à une obligation préjudicielle imposée par le tribunal consistant, entre autres, à verser périodiquement divers montants pendant l'instance, un juge doit s'assurer que la partie qu'on veut priver de ses droits a manqué, volontairement et substantiellement, à son obligation. » 
[13] On précise que la forclusion ne doit pas être prononcée « sans que les parties aient eu l’occasion d’être entendues et de faire valoir les circonstances entourant le défaut de paiement ». 
[14] Le Tribunal doit vérifier l’exactitude et l’importance des motifs entrainant le refus d’obtempérer à l’ordonnance et l’importance du manquement. Dans l’affaire Salama, la Cour d’appel précise :
« [35] Le juge devait s’assurer que les appelants Salama ont volontairement et substantiellement manqué à leurs obligations avant de les priver de leur droit de se défendre en justice. En l'espèce, le juge considère très sommairement le caractère substantiel du non-respect de l’ordonnance de sauvegarde émise en mars 2017 et omet complètement de se pencher sur son caractère volontaire. »
[15] Notons que dans cette affaire Salama, la Cour d’appel autorise le locataire de faire valoir ses prétentions à l’encontre du locateur même s’il ne respecte pas l’ordonnance de paiement du loyer mensuel. Elle considère que les agissements du franchiseur peuvent se trouver à la source des difficultés financières du locataire qui l’empêche de payer son loyer et ses redevances. Le locateur créancier pourrait fort bien être aussi le débiteur d’obligation auprès de Salama dans le cadre d’un contrat de franchise, la Cour d’appel mentionne :
« [39] La position de Second Cup conduit à un raisonnement circulaire : les appelants Salama sont tenus de verser des sommes en application d’une ordonnance de sauvegarde, sous peine de la déchéance de leur droit de se défendre, alors qu’ils prétendent ne pas pouvoir effectuer les paiements en raison des abus contractuels du franchiseur les plaçant dans une précarité matérielle, éléments qu’ils souhaitent invoquer en défense. » 
Constatant que le défaut est ici volontaire et substantiel, le juge Poirier conclut que la forclusion est appropriée.

Référence : [2020] ABD 114

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