mardi 17 mars 2020

Ce n'est que si le jugement de première instance rejette une demande en justice pour cause d'abus (et non pas seulement la déclare abusive) que la permission d'en appeler est nécessaire

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

L'article 30 al. 2(3) C.p.c. prévoit que la permission d'en appeler est nécessaire lorsque le jugement rejette "une demande en justice en raison de son caractère abusif". Ainsi, lorsque la demande en justice est rejetée pour un autre motif et ensuite déclarée abusive, ce paragraphe ne trouve pas application et la permission d'en appeler n'est pas requise. C'est ce que souligne l'Honorable juge Manon Savard dans l'affaire Canadian Consumers Loan & Finance Corporation / Corporation canadienne de prêt & finance à la consommation inc. c. Sisk (2020 QCCA 429).


La Requérante présente une demande pour permission d'en appeler de bene esse à l'encontre de deux jugements rendu simultanément, l'un rejetant la demande en délaissement forcée de la Requérante (et accueillant la demande reconventionnelle pour abus de l'Intimée) et l'autre accueillant la demande en nullité d'un acte de vente et d'une hypothèque de l'Intimée.

L'Intimée fait valoir que la permission d'en appeler est nécessaire puisque le jugement de première instance conclu au caractère abusif des procédures de la Requérante, d'où la condamnation à lui payer des dommages.

Après analyse, la juge Savard rejette la position mise de l'avant par l'Intimée sur la question. Elle souligne que l'article 30 al. 2(3) ne trouve application que lorsque la demande en justice est rejetée en raison de l'abus et non pas à chaque fois que le comportement de la partie demanderesse est ultimement jugé abusif:
[10] À mon avis, l’article 30, al. 2, paragr. 3 C.p.c. ne fait pas ici obstacle à ce droit. Comme la Cour l’enseigne dans l’arrêt Berthiaume c. Carignan, il importe de distinguer entre les motifs justifiant le rejet de la demande introductive d’instance de la requérante et les raisons pour lesquelles la juge de première instance fait droit à la demande reconventionnelle de l’intimée. La juge ne fait mention du caractère abusif de la demande de la requérante que lors de son analyse de la demande reconventionnelle. On comprend de ses motifs que le rejet de la demande en délaissement s’explique uniquement en raison de la nullité des actes de vente et d’hypothèque que la juge prononce après avoir conclu que l’intimée avait été l’objet de représentations dolosives de la part du représentant de la requérante entre autre. Le rejet de la demande principale de la requérante repose ainsi les agissements dolosifs du représentant de la requérante et de ses comparses et de la manière dont ceux-ci ont induit l’intimée en erreur, à son avis. Le caractère abusif du recours de la requérante n’est examiné par la juge uniquement lorsqu’elle examine la portion de la demande reconventionnelle de l’intimée portant sur le remboursement des honoraires extrajudiciaires. Partant, les propos de la Cour dans l’affaire Berthiaume c. Carignan, bien que prononcés en vertu de l’ancien Code de procédure civile, trouvent ici application :
[43] Force est donc de constater que le juge ne discute d'abus ou de procédures abusives que dans les paragraphes de son jugement relatifs à l'examen des demandes reconventionnelles, alors qu'il a complété l'analyse de la demande en justice de Berthiaume qu'il rejette parce que mal fondée en fait et en droit, à son avis.  
[44] Aux fins de l'exercice du droit d'appel, puisque le juge énonce spécifiquement ce pour quoi il rejette la demande en justice de Berthiaume, nous ne pouvons conclure qu'il la rejette en raison de son caractère abusif. Ce n'est pas ce que la structure du jugement indique. 
[45] Ainsi, sans qu'il ne soit nécessaire ou utile de commenter autrement les positions mises de l'avant par les parties, nous retenons que l'article 26, alinéa 2(4.1) C.p.c. ne s'applique pas en l'espèce et que les droits d'appel de Berthiaume sont régis par l'article 26, alinéa 1(1) puisque la valeur en litige est de plus de 50 000 $ dans tous les cas. 
[46] Dans ces circonstances, l'appel de Berthiaume n'est pas irrégulièrement formé et sa requête pour permission d'appel de bene esse devient sans objet.
[11] À mon avis, à la lumière de ces principes, la permission d’appeler n’est pas requise ici, de sorte que la requête pour permission d’appeler de bene esse est sans objet.
Référence : [2020] ABD 110

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