jeudi 22 août 2019

La promesse du fait d'autrui doit être claire, mais elle peut être implicite

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

La promesse du fait d'autrui est une institution quelque peu inusité qui reconnaît la possibilité pour une personne de s'engager contractuellement pour une autre. Le Code civil du Québec codifie celle-ci à l'article 1443. Étant donné ce caractère inusité, il n'est pas surprenant d'apprendre que - pour être valide - la promesse du fait d'autrui doit être claire. Cependant, comme le souligne l'Honorable juge Gérard Dugré dans l'affaire Montvest Immobilier inc. c. Caisse Desjardins des Versants du Mont-Royal (2019 QCCS 3351), il peut néanmoins être implicite.



Dans cette affaire, la Demanderesse recherche une condamnation au montant de 277 610,59$ contre la Défenderesse suite à la vente et la location d’un immeuble commercial à Ville Mont-Royal.

La Demanderesse plaide que le contrat signé avec la Défenderesse contient une promesse du fait d'autrui lorsqu'il est stipulé que "[p]our la Phase 2 du projet, les honoraires de Montvest seront couverts par le locateur du site retenu" et que la Caisse est personnellement responsable du paiement des honoraires puisque aucun locateur ne les a payé.

La Défenderesse plaide plutôt que cette clause stipule clairement que ce n'est pas elle qui va payer les honoraires et qu'elle n'est pas responsable de ceux-ci.

Après avoir effectué un exercice d'interprétation contractuelle, le juge Dugré en vient à la conclusion qu'il s'agit d'une promesse du fait d'autrui et que, même si implicite, celle-ci se dégage clairement du contexte pertinent:

[64] Cela dit, après analyse et à la lumière de l’ensemble de la preuve, le tribunal conclut que la commune intention des parties au moment de la signature du Contrat en mai 2014 était que la Caisse, en son nom propre, promettait que le locateur éventuel du site retenu paierait les honoraires de Montvest.  
[65] Cet d’engagement est parfaitement valide et licite en droit québécois et la qualification de sa nature est une « promesse du fait d’autrui », antérieurement « promesse de porte-fort ». 
[66] Comme le confirment les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina : « [l]e contrat par lequel une personne promet qu’un tiers s’obligera dans le futur est également valide et constitue la promesse du fait d’autrui (art. 1443 C.c.Q.) » (Baudouin, no 23). 
[67] La promesse du fait d’autrui est maintenant codifiée à l’art. 1443 C.c.Q. qui se lit comme suit :
1443. On ne peut, par un contrat fait en son propre nom, engager d’autres que soi-même et ses héritiers; mais on peut, en son propre nom, promettre qu’un tiers s’engagera à exécuter une obligation; en ce cas, on est tenu envers son cocontractant du préjudice qu’il subit si le tiers ne s’engage pas conformément à la promesse. [soulignement ajouté]
[68] Tant le texte, le contexte que les circonstances dans lesquelles le Contrat a été conclu confirment cette promesse de la Caisse et sa conformité à la commune intention des parties. 
[69] Les termes « les honoraires de Montvest seront couverts par le locateur du site retenu » constituent un engagement de la Caisse à ce que le locateur accepte de devenir débiteur des honoraires dus à Montvest et les paie (Baudouin, no 475). En effet, le terme « couverts », participe passé du verbe « couvrir », signifie, en son sens ordinaire, « donner une couverture* financière à (qqn). ˃ assurer, garantir, payer.». De plus, les termes « seront couverts » impliquent un comportement net de la Caisse : elle doit s’assurer que le locateur du site retenu paie les honoraires de Montvest (Lluelles et Moore, no 2430).  
[70] Contrairement à la position plaidée par la Caisse, cette clause du Contrat ne dit pas que la Caisse ne paiera pas les honoraires de Montvest, mais bien qu’ils seront couverts par le locateur du site retenu. 
[71] Partant, la Caisse a assumé une obligation de résultat, soit obtenir formellement cet engagement du locateur du site retenu, et son exécution.  
[72] Dans l’arrêt Lambert c. Minerve Canada, 1998 CanLII 12973 (QC CA), [1998] R.J.Q. 1740, les juges Baudouin et Rothman concluent chacun que Multitour, dont le nom apparaissait sur la facture de vente de billets d’avion intervenue entre l’agence de voyages locale et les passagers acheteurs, s’était portée fort vis-à-vis des passagers acheteurs de l’exécution par le transporteur Minerve Canada (qui avait fait faillite) de son obligation de résultat (p. 1743 à 1744, 1749-1750).  
[73] Les deux magistrats n’ont pas exigé la présence des termes « Multitour promet l’exécution du service de transport par Minerve » pour conclure que Multitour s’était engagée en son propre nom que Minerve transporterait les passagers à une date et à une heure déterminées. C’est par l’interprétation de la facture émise au moment de la vente du billet d’avion et du contexte factuel qu’ils ont conclu que Multitour s’était portée fort du transporteur. 
[74] D’ailleurs, si une promesse du fait d’autrui doit certes être claire, elle peut être implicite pourvu que cette conclusion s’infère incontestablement des faits en cause, ce qui est le cas en l’instance (art. 1434 C.c.Q.; Lluelles et Moore, no 2431). 
[75] De surcroît, les juges Baudouin et Rothman concluent que la promesse de porte-fort concernait non pas l’engagement de Minerve à transporter les passagers, mais l’exécution par Minerve de son obligation de résultat de les transporter. Il est vrai que l’art. 1443 C.c.Q. vise la promesse « qu’un tiers s’engagera à exécuter une obligation », et non que ce tiers exécutera son engagement (Lluelles et Moore, no 2436). Cependant, comme le soulignent les auteurs Lluelles et Moore, « [l]e contrat peut en décider autrement en prévoyant, outre la promesse de l’engagement du tiers, la promesse que ce tiers exécutera, le cas échéant, l’engagement qu’il aura assumé. Cette obligation additionnelle ne constitue pas un cautionnement, mais une extension du champ de l’engagement du porte-fort […] » (no 2437, note omise).  
[76] Dans le cas qui nous occupe, les termes « seront couverts » impliquent nécessairement que le locateur Lacoste devait non seulement s’engager à payer les honoraires de Montvest, mais aussi les payer. Toutefois, cette dichotomie engagement/exécution n’a en l’instance aucun impact sur la conclusion du tribunal puisque, dans les faits, le locateur ne s’est pas engagé à payer et n’a pas payé ces honoraires. 
[77] En définitive, à la lumière de la preuve, la seule interprétation raisonnable de cette clause est qu’il s’agit d’une promesse de la Caisse puisqu’elle seule était en mesure d’exiger que le locateur paie les honoraires de Montvest.
Référence : [2019] ABD 336

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