lundi 7 janvier 2019

L'objectif de l'ordonnance de sauvegarde prononcée dans le cadre d'un recours en oppression est la protection du statu quo

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Il est malheureux de constater qu'il existe maintenant une confusion presque complète entre l'ordonnance de sauvegarde et l'injonction provisoire. La première - comme son nom l'indique - vise la sauvegarde des droits d'une partie, alors que la deuxième vise l'obtention d'une ordonnance de faire ou de ne pas faire quelque chose. Or, s'il existe indéniablement un recoupement entre ses deux recours en ce que certaines ordonnances de faire ou de ne pas faire ont pour effet de sauvegarder les droits d'une partie, cela ne veut pas dire que les recours sont interchangeables. Ainsi, sauf circonstances exceptionnelles, lorsqu'on demande le changement du statu quo on devra procéder par voie d'injonction provisoire puisque l'ordonnance de sauvegarde vise la préservation du statu quo. La décision récente de l'Honorable juge Benoît Moore illustre bien cette dernière réalité. Il s'agit de l'affaire Gosselin c. Crevier (2019 QCCS 57).


Dans le cadre de procédures judiciaires en oppression, la Défenderesse recherche l'émission d'une ordonnance de sauvegarde ordonnant la suspension du Demandeur à titre d'administrateur et de dirigeant de la Mise en cause. Elle allègue que son comportement est néfaste pour la personne morale et que cette mesure s'impose dans les circonstances.

Le Demandeur conteste cette demande tant parce qu'il conteste la véracité des faits qui sont allégués, que parce qu'il fait valoir qu'une telle ordonnance aurait pour effet de changer le statu quo au sein de la personne morale.

Saisi de la question, le juge Moore souligne que le recours à l'ordonnance de sauvegarde n'est pas approprié lorsque l'ordonnance recherchée change le statu quo, à moins de circonstances exceptionnelles. Or, son analyse de la situation ne démontre aucune telle circonstance qui permettrait ou justifierait l'émission de l'ordonnance recherchée:
[14] Le Tribunal rappelle également que l’ordonnance de sauvegarde relève de la discrétion du Tribunal et qu’elle constitue une mesure d’exception visant à maintenir ou à sauvegarder le statu quo. Il revient bien sûr à celui qui présente une telle demande de sauvegarde d’établir sa nécessité et la rencontre des conditions ci-dessus énumérées. 
[15] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la défenderesse n’a pas su rencontrer son fardeau de preuve. 
[16] Le Tribunal traitera d’abord de la question de l’urgence, en lien avec celle du préjudice sérieux ou irréparable, condition qui à elle seule suffit, en l’espèce, pour refuser l’ordonnance de sauvegarde recherchée. 
[17] Au titre de ce critère, il revient à la défenderesse d’établir la nécessité pour le Tribunal d’intervenir en urgence afin d’éviter un préjudice sérieux ou irréparable. 
[18] Essentiellement, la preuve, à ce stade, repose sur des allégations de la défenderesse selon lesquelles le demandeur aurait tenu des propos aux clients et aux employés à l’effet qu’Uniko allait cesser ses opérations. 
[19] Sans statuer sur l’existence et la teneur de ces propos, ceux-ci auraient été faits à la suite d’une mise en demeure de Claudette Godin Crevier annonçant la fin du bail. Or, depuis, par une lettre du 10 décembre 2018, cette dernière a consenti au maintien dans les lieux d’Uniko et rien dans le dossier ne fait état de propos du demandeur depuis que la menace d’éviction est levée. 
[20] Les autres allégations selon lesquelles des employés se plaindraient du demandeur ou encore que ce dernier effectuerait mal son travail de mécanicien, ne reposent sur rien d’autre que des allégués généraux. 
[21] Or, le demandeur continue de travailler au sein d’Uniko, de l’aveu des deux parties l’entreprise se porte bien et le bailleur accepte maintenant le maintien d’Uniko dans les lieux pour la durée du litige. Rien à ce stade-ci ne justifie donc une intervention du Tribunal. 
[22] Cette absence d’urgence découle du fait que la défenderesse n’a pas établi que le maintien du demandeur au sein de l’entreprise soumet celle-ci à un préjudice sérieux ou irréparable. À l’inverse, le préjudice pour le demandeur si l’ordonnance de sauvegarde était accueillie, serait important puisqu’il perdrait son emploi en plus d’être soumis, selon les conclusions recherchées, à une obligation de non-concurrence, le tout au stade d’une ordonnance de sauvegarde. Mais plus important encore, ce résultat perturberait de manière significative le statu quo, effet précisément contraire à ce que vise l’ordonnance de sauvegarde. 
[23] Quant à la prépondérance des inconvénients, laquelle exige du Tribunal qu’il établisse laquelle des parties subira le plus grand préjudice selon que l’ordonnance est accordée ou pas, les motifs ci-dessus permettent de conclure que ce critère joue aussi nettement en faveur du demandeur et du rejet de l’ordonnance de sauvegarde. 
[24] Pour toutes ces raisons, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur la question de l’existence d’une question sérieuse.

Référence : [2019] ABD 10

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