jeudi 3 janvier 2019

L'importance de distinguer la garantie légale en matière de vente et le devoir d'information du vendeur

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Même s'il existe un certain recoupement entre la garantie légale en matière de vente et le devoir d'information du vendeur, il faut se garder de confondre ces deux notions. En effet, le devoir d'information du vendeur est habituellement plus étendu que la garantie légale et ne vise pas le même objectif. Il s'agit de permettre à l'acheteur de prendre une décision éclairée. La Cour d'appel souligne l'importance de la distinction dans Monarque du Richelieu inc. c. Boisé Richelieu inc. (2018 QCCA 2168).



Dans cette affaire, l’appelante se pourvoit contre un jugement de première instance de la Cour supérieure qui a rejeté sa requête introductive d’instance en dommages-intérêts contre les Intimés ainsi que la demande reconventionnelle de ces derniers.

En décembre 2000, les Intimés acquièrent des terrains d’une superficie de 19 millions de pieds carrés dans le but d’y développer un quartier résidentiel et un terrain de golf. Ils débutent par la construction de trois immeubles. Moins d'un an plus tard, les fondations de ces trois immeubles s’affaissent en raison de la présence d’argile sous-consolidée dans le sol. Des travaux correctifs sont effectués.

Huit ans plus tard, en mai 2009, l'Appelante de deux des Intimées les terrains non encore développés d’une superficie de 12,5 millions de pieds carrés. L’Appelante n’effectue pas alors d’analyse du sol avant la signature du contrat de vente en raison des représentations qui lui ont été faites par les Intimés. Le représentant de ces dernières ne mentionne pas avoir rencontré de problème relié à la nature du sol. Le contrat de vente prévoit cependant qu'aucune garantie n'est faite sur la qualité du sol.

Quelques années plus tard, l'Appelante commence à subir des problèmes importants en raison de la qualité du sol. Elle ne prend initialement aucun recours contre les Intimés en raison de la clause contractuelle prévoyant l'absence de garantie pour les sols. L'Appelante change cependant de position lorsqu'elle apprend que les Intimés connaissaient ces problèmes au même de la vente en 2009 et n'en a pas informé l'Appelante. 

L'Appelante plaide donc un accroc au devoir d'information des Intimés et leur réclame des dommages. 

Le juge de première instance rejette le recours de l'Appelante, étant d'avis que les Intimés n'avaient pas l'obligation d'aviser l'Appelante de problèmes affectant des terrains autres que ceux qui lui ont été vendus.

Dans un jugement unanime rendu par les Honorables juges Dutil, Dufresne et Bouchard, la Cour d'appel infirme le jugement de première instance. Elle indique à cet égard que le juge de première instance a erré en confondant l'exclusion de la garantie légale et le devoir d'information des Intimés. Ce dernier étant beaucoup plus étendu que le premier, la Cour en vient à la conclusion que les Intimés ont commis une faute en ne divulguant pas les problèmes affectant les sols:
[24] Le manquement à l’obligation de renseignement offre une variété de sanctions disponibles pour le cocontractant lésé, dont le recours en dommages-intérêts. Par ailleurs, malgré qu’elles se recoupent, la violation de l’obligation de renseignement qui constitue un dol (par le silence ou une réticence) est une notion différente de la garantie légale contre les vices cachés en ce qu’elle couvre une réalité plus large que cette dernière :
213 – Sur le plan contractuel, le dol comme source d’erreur et la garantie se distinguent nettement. L’erreur provoquée par le dol vicie le consentement de l’acheteur, alors que la garantie protège l’intégrité de l’usage du bien plutôt que l’intégrité du consentement de l’acheteur. Toutefois, relativement à l’importance que revêt l’obligation de ne pas tromper le cocontractant, les deux théories sont conceptuellement identiques. La garantie constitue, à ce sujet, une application particulière de la théorie du dol par rapport au vice caché. […] Cependant, le domaine d’application du dol est plus étendu que celui de la garantie. Tandis que la garantie ne comprend qu’une protection à l’égard du vice caché, le dol englobe tout fait susceptible d’influer sur le consentement du contractant. En matière de dol, la garantie n’est en fait qu’un sous-ensemble d’une théorie plus vaste. La théorie du dol peut donc être d’un précieux recours à l’acheteur trompé là où la garantie est incapable de le protéger. […] 
[…] 
214.1 – Les tribunaux ont souvent reconnu que le vendeur connaissant un fait important qui pourrait influencer la décision de l’acheteur de contracter ou les conditions auxquelles l’acheteur accepterait de contracter, et sachant pertinemment que l’acheteur ignore ce fait, doit le dénoncer à l’acheteur avant la vente : faire autrement constituerait un dol négatif. 
[Soulignements ajoutés; renvoi omis]
[25] Le juge de première instance a confondu les deux notions et appliqué la mauvaise norme dans son évaluation de l’obligation de renseignement des intimés. Même si ces derniers n’étaient pas tenus de garantir le sol contre les vices cachés comme l’écrit le juge, il a erré en droit lorsqu’il limite l’obligation de renseignement du vendeur aux seuls vices affectant le bien vendu. Le critère applicable étant celui du caractère déterminant de l’information dissimulée ou passée sous silence, l’appelante a raison d’écrire dans son mémoire « [qu’]une information relative à une vente peut très bien être déterminante sans pour autant se rapporter à un défaut affectant directement le bien vendu ». 
[26] Or, c’est précisément le cas en l’espèce. Tout dans la preuve indique, tant pour l’appelante que pour les intimés, l’importance de la présence d’argile dans le secteur de la rue de la Loire. 
[…] 
[32] Aussi, en omettant de dévoiler à l’appelant la présence, voire la possibilité de présence d’argile dans certains des terrains vendus, la Cour est d’avis que la conduite de Daniel Levasseur est suffisamment caractérisée pour constituer une faute extracontractuelle engageant sa responsabilité personnelle. La faute des intimées 9149-9198 Québec inc. et Le Boisé Richelieu inc. étant par ailleurs contractuelle en raison du fait qu’elles sont parties aux contrats de vente avec l’appelante, il y a lieu de prononcer une condamnation in solidum. Enfin, le juge de première instance a procédé à l’évaluation des dommages subis par l’appelante malgré le rejet du recours de cette dernière. Il a établi ceux-ci à 1 059 270,59 $. Puisque l’appelante ne conteste pas ce montant, il y a lieu de condamner les intimés à lui payer cette somme.
Référence : [2019] ABD 5

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