vendredi 2 février 2018

Une décision rendue par la cour supérieure d'une autre province canadienne sur la constitutionnalité d'une loi n'a pas l'autorité de la chose jugée au Québec

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Est-ce qu'une décision rendue dans une autre province canadienne relativement à la constitutionnalité d'un loi lie les tribunaux québécois. C'est la question très intéressante que devait trancher l'Honorable juge Claude Champagne dans l'affaire Société canadienne des postes c. Bergeron (2018 QCCS 328). Dans celle-ci, le juge Champagne en vient à la conclusion qu'une telle décision n'a pas l'autorité de la chose jugée. 


Dans cette affaire, la Demanderesse présente une demande en révision judiciaire de deux sentences d'arbitrage de grief. 

En plus de plaider que les sentences doivent être mises de côté pour les raisons usuelles de déraisonnabilité, la Demanderesse ajoute que les sentences sont invalides en raison d’un jugement prononcé durant le délibéré par la Cour supérieure de justice de l’Ontario déclarant la Loi sur le rétablissement de la livraison du courrier aux Canadiens inconstitutionnelle.

Le juge Champagne doit donc d'abord déterminer si la décision ontarienne a l'autorité de la chose jugée au Québec. Après analyse, il répond par la négative à cette question et indique que la décision ontarienne n'est qu'un simple précédent pour les fins des procédures québécoises:
[15] Avec égards pour l’opinion contraire, le Tribunal estime que la décision du juge ontarien ne fait pas autorité au Québec autrement que comme simple précédent. Voici pourquoi. 
[16] L’auteur Peter W. Hogg pose, dans son traité de droit constitutionnel canadien, la question de savoir si une loi fédérale peut être valide dans une province et invalide dans une autre. Il y répond comme suit :
« In case of federal laws that are enforced in the provincial courts, there is also the possibility that a holding of invalidity in one province might not be followed in another province. The general rule is that the courts of one province are not bound by decisions of the courts of another province. This rule applies to the interpretation of federal laws: Wolf v. The Queen 1974 CanLII 161 (CSC), [1975] 2 S.C.R. 107; so that the same law can have different meanings in different provinces – until the Supreme Court of Canada rules on the issue. Query wether this carries over to rulings as to constitutionality?»  
[Nos soulignements]
[17] Dans Emms c. La Reine, on demandait à la Cour suprême du Canada si on pouvait permettre à un organisme administratif de laisser subsister une déclaration d’invalidité dans une affaire donnée et de ne pas en tenir compte envers les tiers pour le cas où, dans une autre affaire, elle pourrait réussir à faire décider le contraire par un tribunal d’instance inférieur par un autre juge. En effet, la Cour fédérale avait déclaré ultra vires une disposition règlementaire concernant l’emploi dans la Fonction publique et l’intimée demandait à la Cour suprême de juger le contraire. 
[18] Sans décider de la question, le juge Pigeon effectue le parallèle avec une loi invalide et il écrit :
« La décision devrait-elle être assimilée à la déclaration d’invalidité d’une loi à laquelle on semble n’avoir jamais donné que l’autorité du précédent? » 
[Nos soulignements]
[19] Le juge Pigeon conclut toutefois qu’il n’a pas à résoudre la question puisqu’il n’existe aucune raison de le faire. 
[20] Le Tribunal n’ignore pas que dans l’affaire Hendricks, la Cour d’appel du Québec écrit que :
« [28] S’il est vrai que, en règle générale, les jugements des tribunaux d’une province n’ont pas d’effet extraterritorial, il n’en reste pas moins qu’il serait juridiquement inacceptable que, dans une matière constitutionnelle impliquant le Procureur général du Canada relativement à une matière relevant de la compétence du Parlement fédéral, une disposition soit inapplicable dans une province et en vigueur dans toutes les autres.» 
[Nos soulignements]
[21] Toutefois, l’impact de cet arrêt à ce sujet doit être nuancé et c’est ce que font les auteurs Brun et Tremblay pour qui le paragraphe 28 ci-dessus se rattache plutôt au caractère « désirable » de respecter les décisions des tribunaux de hiérarchie parallèle. Ainsi et selon ces auteurs, un jugement d’une province déclarant une loi inconstitutionnelle n’aurait que l’autorité d’un précédent dans une autre province.  
[22] Référant au jugement de la Cour suprême dans Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, Brun et Tremblay sont d’avis que seuls un jugement de la Cour suprême ou une loi du législateur fédéral pourraient créer l’uniformité du droit. Ainsi, les décisions des juridictions inférieures dans les dossiers à l’origine du renvoi n’ont force obligatoire que dans les provinces ou elles ont été rendues. 
[23] C’est en raison des motifs qui précèdent que cette Cour conclut que le jugement ontarien n’a pas l’autorité de la chose jugée au Québec.
Référence : [2018] ABD 49

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