dimanche 11 février 2018

Dimanches rétro: le dépôt d'une demande en justice interrompt la prescription, de sorte que l'on peut subséquemment amender les conclusions relatives à cette cause d'action sans difficultés à l'égard de la prescription

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Le dépôt d'une action en justice interrompt la prescription, mais quelle est la portée de cette interruption? L'article 2896 C.c.Q. règle maintenant la question, mais ce ne fût pas toujours le cas. Dans l'affaire Marquis v. Lussier et al. ([1960] SCR 442), la Cour suprême du Canada nous enseignait que le dépôt d'une action en justice interrompt la prescription à l'égard de tous les droits qui découlent de la même source.


Dans cette affaire, le Demandeur institue - en mars 1954 - un recours en dommages suite à un accident automobile survenu en octobre 1953. En novembre 1955, le Demandeur produit une demande incidente pour réclamer des dommages additionnels relatifs au même accident. Puisque le délai de prescription à l'époque était d'un an, la partie adverse plaide que ce recours incidents doit être rejeté pour cause de prescription.

Au nom de la Cour, l'Honorable juge Taschereau donne raison au Demandeur (Appelant) sur la question. Il souligne que le dépôt du recours de mars 1954 a interrompu la prescription à l'égard de  tous les droits qui découlent de la même source, de sorte que l'action incidente n'est pas prescrite:
L'erreur des intimés repose sur une interprétation erronée des art. 2264 et 2265 C.C. L'article 2264 nous dit bien qu'après la renonciation ou l'interruption, la prescription recommence à courir pour le même temps qu'auparavant, s'il n'y a novation. Et 2265 C.C. est à l'effet que la condamnation en justice forme un titre qui ne se prescrit que par trente ans, quoique ce qui en fait le sujet soit plus tôt prescriptible. Il faut donc de toute nécessité attendre que le jugement soit rendu pour déterminer quel sera ce nouveau titre qui sera la base d'où la prescription devra recommencer à courir. 
Il est certain que la prescription est interrompue et recommence à courir à partir de la date de l'interruption, pour le même temps qu'auparavant, lorsqu'il s'agit par exemple de renonciation (2264 C.C), mais tel n'est pas le cas d'une interruption par citation en justice. Toute autre interprétation serait illogique, si l'on tient compte du fait que par jugement définitif le créancier obtient un titre nouveau qui se prescrit par trente ans et qui lui permet, dans ce délai, d'exécuter contre le débiteur le jugement qu'il a obtenu. C'est évidemment à partir de la date de ce jugement que doivent se computer les délais, car si l'action est déclarée périmée ou rejetée par le tribunal, il n'y a pas d'interruption. 
Avec toute la déférence possible pour ceux qui partagent des vues contraires, je suis d'opinion que lorsqu'une action est instituée dans le temps voulu pour réclamer des dommages, elle interrompt la prescription, et ce n'est qu'à partir du jugement définitif qu'elle recommence à courir. Il s'ensuit qu'au cours de l'instance, le demandeur peut, selon le cas, par demande incidente ou amendement, réclamer des dommages additionnels résultant de la même cause d'action. Si j'entretenais une vue contraire, il me faudrait, me semble-t-il, ignorer les dispositions de l'art. 2265 C.C. En effet, s'il n'y a pas d'interruption de prescription quand la demande est rejetée, il s'ensuit nécessairement qu'il faut attendre jusqu'au jugement définitif qui détermine l'issue du procès, pour savoir quand la prescription doit cesser ou recommencer à courir. 
Ceci me paraît conforme à l'enseignement des auteurs en France, où n'existent cependant pas les art. 2264 et 2265 de notre Code Civil. Mais je crois que nos codificateurs se sont inspirés de la doctrine des jurisconsultes qui ont écrit sur ce point. Il n'y a sûrement rien dans notre Code de nature à contredire cet enseignement. L'amendement récent fait par la Législature à l'art. 2224 C.C. sanctionne en substance ce qui, à mon sens, a toujours existé. 
Comme j'en arrive à la conclusion que la demande incidente n'est pas prescrite, et comme je crois également que les dommages additionnels qui y sont réclamés découlent de l'accident survenu le 9 octobre 1953, je suis d'opinion que le jugement du juge au procès doit être rétabli. II me semble totalement immatériel en l'espèce de déterminer si la compensation de dix pour cent doit être accordée à l'appelant sur la demande principale ou la demande incidente.
Référence : [2018] ABD Rétro 6

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