samedi 13 janvier 2018

Par Expert: le témoignage d'un expert qui a une relation professionnelle préexistant avec la partie qui retient ses services est recevable, mais sa valeur probante peut être fortement diminuée

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

La semaine dernière, nous traitions du fait qu'une relation professionnelle préalable entre une partie et un expert n'empêchait pas ce dernier d'être qualifié d'expert dans un litige. Tout est une question de force probante. Nous revenons à la charge sur le sujet cette semaine pour vous offrir une belle illustration. En effet, dans l'affaire Frigon c. Tribunal administratif du travail (2018 QCCS 21), la Cour supérieure rappelle que rien ne s'oppose à ce qu'un médecin traitant agisse à titre de témoin expert pour sa patiente, mais que la force probante de son témoignage .


Dans cette affaire, l'Honorable juge Chantal Lamarche est saisie de deux demandes en contrôle judiciaire déposées à l'encontre de deux décisions de la CLP et deux décisions du TAT. 

Dans ses deux décisions, la CLP refuse de reconnaître que l'exposition des Requérantes à des moisissures dans leur lieu de travail est la cause de leur pathologie d’arthrite et de fatigue associée ou de l’aggravation de cette condition personnelle; d’où l’absence de lésion professionnelle reliée à ces diagnostics. Le TAT refuse de réviser les décisions de la CLP.

Un des griefs des Requérantes a trait à la preuve d'expert qu'elles ont présentée. En effet, bien que la CLP a rejeté l'objection de la partie adverse quant à la recevabilité de leur expertise médicale - l'objection étant basé sur le fait que le médecin traitant des Requérantes ne pouvait agir à titre d'expert - elle a ensuite écarté cette expertise dans son jugement final.

La juge Lamarche rejette ce grief des Requérantes, indiquant qu'il était tout à fait approprié pour la CLP de traiter de la force probante du témoignage de l'expert qui a certains liens avec la partie qui retient ses services:
[63] La CLP rend une décision interlocutoire sur la recevabilité du témoignage du Dr Jacques le 26 novembre 2013. 
[64] Elle accorde au Dr Jacques le statut d’expert en raison de ses compétences professionnelles. Elle ajoute que les questions portant sur son absence de neutralité et sa partialité soulevées par la CSDM en raison de son rôle à la DSP et dans l’enquête, seront traitées au stade de l’évaluation de la valeur probante de son témoi­gnage :
[36] Ainsi, tel que le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans ces décisions, il y a une distinction à faire entre la recevabilité d’un élément de preuve et sa force probante. 
[37] En l’espèce, à ce stade-ci, la Commission des lésions profes­sionnelles ne doit décider que de la recevabilité d’un élément de preuve soit de reconnaître ou non le statut d’expert du docteur Jacques. 
[38] L’impartialité ou l’absence de neutralité invoquée par l’employeur n’est pas pertinente à la recevabilité du témoignage du docteur Jacques à titre d’expert. Ces éléments devront cependant être considérés par le tribunal une fois le témoignage de ce médecin entendu, afin d’en déterminer la force probante. 
[…] 
[41] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le rôle d’enquêteur du docteur Jacques demeure toutefois un élément de preuve qui devra être considéré lorsque la Commission des lésions professionnelles se prononcera sur la valeur probante du témoignage de ce médecin. Ce fait n’empêche cependant pas, à ce stade-ci, le tribunal de reconnaître la recevabilité de ce témoignage à titre d’expert. 
[Soulignements du Tribunal]
[65] Par conséquent, Mesdames Frigon et Carrier ne pouvaient ignorer que les questions de neutralité et de partialité seraient importantes pour évaluer la valeur probante du témoignage du Dr Jacques. D’ailleurs, Mesdames Frigon et Carrier ont elles-mêmes plaidé que l’absence de neutralité et la partialité invoquées par la CSDM devaient être analysées au moment où la valeur probante du témoignage est analysée. Le Tribunal souligne au surplus que la valeur probante de tout élément de preuve dont un témoignage, peut et, même dans certaines circonstances, doit être évaluée sans même que le tribunal n'ait à informer d’avance les parties. Il s’agit tout simplement du rôle de ce tribunal d’évaluer la preuve soumise. 
[66] Par ailleurs, la décision de la CLP d’évaluer la valeur probante du Dr Jacques après avoir déclaré son témoignage à titre d’expert recevable est conforme aux enseignements de la Cour suprême dans White Burgess Langille Inma c. Abbott and Haliburton co.

Référence : [2018] ABD Expert 2 

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