dimanche 7 janvier 2018

NéoPro: les facteurs qui doivent guider la Cour pour déterminer si des circonstances exceptionnelles justifient un changement de district

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Le nouveau Code de procédure civile a introduit une nouveauté avec l'article 48 C.p.c. En effet, celui-ci permet maintenant au juge en chef "exceptionnellement, dans l’intérêt des parties ou des tiers concernés ou encore si d’autres motifs sérieux le commandent, ordonner, même d’office, le transfert du dossier, de l’instruction ou d’une demande relative à l’exécution du jugement dans un autre district". Dans l'affaire Gingras c. Rogers Communications inc. (2018 QCCS 13), l'Honorable juge Lukasz Granosik discute de ce qui constitue de telles circonstances.



Dans cette affaire, le juge Granosik est désigné par le juge en chef pour entendre une requête demandant le transfert du Demandeur du district de Montréal vers le district de Québec.

Au soutien de sa demande de transfert, le Demandeur indique qu’il est domicilié à Dosquet, que tous ses témoins, y compris trois témoins experts, sont résidants dans le district de Québec, que toute la cause d’action a pris naissance dans le district de Québec (notamment l’immeuble en question s’y retrouve aussi), et que procéder dans le district de Montréal lui causerait une dépense importante. Il ajoute qu’il est semi-retraité, qu’il a plus de 70 ans et que la balance des inconvénients le favorise.

Les Défenderesses s’opposent au transfert. La Défenderesse Rogers indique qu'elle aura cinq témoins, tous de Montréal, alors que la Défenderesse en garantie affirme avoir trois témoins, dont un témoin expert, qui sont de Montréal ou de la grande région de Montréal.

C'est dans ce contexte que le juge Granosik fait la revue des principes juridiques applicables et souligne que le transfert ne peut être ordonné que s'il est dans l'intérêt des parties - et non d'une seule d'entre elles:
[7] C’est dans la décision P.N.Gariépy, que le juge en chef associé Pigeon a énoncé les critères d’application de l’article 48 C.p.c.:
[7] Une revue de la jurisprudence et des principes applicables en matière de changement du lieu de l’instruction permet entre autres de dégager ce qui suit :  
➢ Le changement de la tenue du lieu de l’instruction d’une cause peut uniquement être ordonné lorsque c’est dans l’intérêt des parties et qu’il existe une situation exceptionnelle.  
➢ Le seul fait que les procureurs des parties pratiquent dans une ville en particulier et qu’il serait plus commode et plus économique de poursuivre l’instance dans un autre district que celui où l’action a été prise ne peut justifier le transfert d’un dossier. 
➢ Une des principales raisons pour laquelle un changement de district peut être autorisé est certes le fait que la plupart des personnes qui seront appelées à témoigner résident dans un autre district que celui où la cause a été intentée. En revanche, un changement de district doit être refusé si la mesure ne vise qu'à accommoder les témoins du requérant et à imposer aux témoins de la partie adverse les inconvénients d'avoir à voyager.  
➢ Le Tribunal doit considérer la règle de la proportionnalité édictée à l’article 4.2 du Code de procédure civile. Cependant, cette règle doit être considérée à la lumière et en conjonction avec les autres dispositions du Code de procédure civile visant une saine administration de la justice. 
➢ Une telle demande doit être arbitrée dans le contexte d'une saine administration de la justice, tenant compte de l'intérêt de toutes les parties en cause. Pour ce faire, il importe de vérifier la balance des inconvénients. 
➢ Si une méthode alternative est possible pour corriger un inconvénient (exemple : témoignage d’expert par visioconférence; témoignage de témoin ordinaire par visioconférence ou hors cour ou par affidavit; audition d’un témoin dans deux districts différents), le Tribunal doit sérieusement la considérer dans son analyse. 
➢ Dans les matières familiales, l’intérêt de l’enfant est un critère qui doit être pris en compte dans l’analyse. 
(Référence omise)
[8] Le Tribunal retient de ces principes que le transfert du dossier est une mesure exceptionnelle. D’ailleurs, la Ministre de la justice le confirme clairement dans son commentaire à propos de l’article 48 C.p.c. :
(…) Le seul fait que la décision est de la compétence du juge en chef et qu’elle est rendue à titre exceptionnel indique qu’il ne s’agit pas là d’une demande usuelle, mais d’une demande qui doit être pleinement justifiée eu égard, notamment, au principe de la proportionnalité.
[9] Aussi, cette mesure ne peut être prise que dans l’intérêt « des parties » et non pas d’une seul partie. 
[10] Enfin, le critère déterminant est la situation des témoins, et ce, tant selon le juge en chef associé Pidgeon qui le mentionne à titre de l’« [u]ne des principales raisons pour laquelle un changement de district peut être autorisé », que selon le juge en chef Fournier qui souligne que « le fait que le domicile des témoins soit dans un autre district judiciaire est un élément déterminant au regard de la jurisprudence ». S’il faut choisir entre les témoins profanes et les témoins experts, il faut nécessairement favoriser le lieu où se trouvent les témoins profanes.
Référence : [2018] ABD NéoPro 1

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