dimanche 7 janvier 2018

Dimanches rétro: il est possible de faire valoir une fin de non-recevoir à l'encontre d'une requête en irrecevabilité pour litispendance lorsque la partie défenderesse adopte un comportement procédural inacceptable

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Non seulement est-ce que la fin de non-recevoir peut être opposée à une cause d'action et un moyen de défense, mais elle peut également être invoquée à l'encontre d'un moyen procédural. En effet, dans l'affaire Sàfilo Canada Inc. c. Chic Optic (2004 CanLII 46683), la Cour d'appel indiquait qu'une fin de non-recevoir faisait obstacle à une requête en irrecevabilité pour motif de litispendance en raison du comportement procédural inacceptable de l'Appelante.


Dans cette affaire, la Cour d'appel est saisi du pourvoi de l'Appelante à l'encontre d'un jugement de première instance qui a rejeté sa requête en irrecevabilité pour cause de litispendance. L'Appelante fait valoir que le juge de première instance a erré en ne reconnaissant pas la présence de l'identité de parties, d'objet et de cause entre la présente affaire et le recours qu'elle a déposé en Cour fédérale.

Les Intimées contestent le pourvoi pour plusieurs motifs, dont le fait que le comportement de l'Appelante ne devrait pas lui permettre de présenter une demande en irrecevabilité pour cause de litispendance.

En effet, après que les Intimées avisent l'Appelante qu'ils ont l'intention de déposer une demande en injonction devant la Cour supérieure du Québec, cette dernière laisse entendre qu'elle a besoin de temps pour analyser la demande et y répondre. Dans les faits, elle profite plutôt du délai qui lui est accordé pour déposer à la hâte des procédures devant la Cour fédérale.

Au nom d'une formation unanime de la Cour, l'Honorable juge Pierre J. Dalphond opine que le comportement de l'Appelante à cet égard est inacceptable. Il applique donc la théorie de la fin de non-recevoir pour rejeter l'appel avant même d'analyser le mérite des arguments sur la litispendance:
[22] En raison du comportement inacceptable des avocats de l’appelante, qui ont laissé entendre qu’ils avaient besoin de temps pour parler à leur cliente et répondre à la demande d’injonction et qui ont profité de la longue fin de semaine pour rédiger en toute hâte des procédures pour dépôt en Cour fédérale afin de court-circuiter la Cour supérieure, je suis d’avis qu’il y a lieu de faire droit à la fin de non-recevoir au moyen de litispendance et, par voie de conséquence, de rejeter le pourvoi sans même nécessité de statuer sur le moyen. 
[23] Selon Pothier, « les fins de non-recevoir contre les créances, sont certaines causes qui empêchent le créancier d’être écouté en justice pour exiger sa créance » ; selon Denisart, « [o]n appelle fin de non-recevoir une espèce d’exception péremptoire, par le moyen de laquelle celui qui défend à une demande, peut la faire rejeter, sans entrer dans la discussion du fond ».  
[24] La fin de non–recevoir peut aussi être soulevée pour faire rejeter un moyen de défense comme le laisse entendre le juge Beetz dans l’arrêt Banque nationale du Canada c. Soucisse, 1981 CanLII 31 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 339, à la page 360 :
Comme ces définitions l'indiquent, les fins de non-recevoir se distinguent des défenses en ce qu'elles n'attaquent pas le fond de la demande. Il peut également y avoir des fins de non-recevoir qui tendent à faire rejeter des moyens de défense sans en attaquer le fond.
[25] Dans l’arrêt Fecteau c. Gareau, [2003] R.R.A. 124 (rés.), 2003 CanLII 47906 (QC CA), AZ-50158441, J.E. 2003-233 (C.A.), ma collègue la juge Mailhot, à l’opinion de laquelle je souscrivais, déclare :
[48] Pour ma part, je ne vois pas ce qui empêcherait un tribunal de déclarer « qu'il y a une cause qui empêche le défendeur d'être écouté en justice », selon les mots de Pothier, pour faire valoir que l'action est sans fondement.  
[49] À mon avis, la maxime nemo auditur turpitudinem suam allegans constitue une interdiction générale visant toute personne qui s'appuie sur sa propre turpitude et un des fondements d'une fin de non-recevoir. Ainsi, la fin de non-recevoir peut dans un cas approprié être invoquée pour empêcher une partie de faire valoir un argument qui autrement constituerait une justification pour son enrichissement.
[26] En l’espèce, la fin de non-recevoir est soulevée à l'encontre de la requête en irrecevabilité pour litispendance de l’appelante, soit un moyen de cette dernière pour faire valoir que l’action des intimées est sans fondement. À mon avis, la fin de non-recevoir est alors assimilable au rejet d’un moyen de défense et il est approprié en l’instance d’y faire droit. Conclure autrement permettrait à l’appelante de bénéficier d’une conduite empreinte de réticences, voire de mauvaise foi; en d’autres mots profiter de sa propre turpitude.
Référence : [2018] ABD Rétro 1

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