jeudi 4 janvier 2018

Le juge saisi d'une demande d'être relevé du défaut d'inscrire dans les 180 jours doit toujours prendre en considération le préjudice qui sera subi par la partie requérante si elle n'est pas relevée du défaut

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Si la Cour d'appel a beaucoup insisté récemment sur le pouvoir discrétionnaire du juge saisi d'une requête pour être relevé du défaut, l'affaire Édifice 1010 Ste-Catherine Est inc. c. Syndicat des copropriétaires de l'édifice Amherst (2017 QCCA 2001) est un important retour du balancier. En effet, dans celle-ci, la Cour d'appel insiste sur l'importance primordiale du préjudice qui sera subi par la partie qui désire être relevée du défaut.


Dans cette affaire, la Cour est saisie du pourvoi des Appelantes à l'encontre du jugement de première instance qui a rejeté leur requête pour être relevé du défaut d'avoir inscrit leur affaire pour enquête et audition dans le délai de rigueur de 180 jours. 

La juge de première instance, tout en reconnaissant que le défaut était le résultat d'une erreur de l'avocat des Appelantes, refuse de les relever de leur défaut pour trois motifs, notamment: 1) la négligence de leur avocat d’avoir fait éclaircir la question du point de départ du délai de six mois pour inscrire, alors qu’il était conscient du problème; 2) le retard de ce dernier à communiquer les engagements à la suite de l’interrogatoire de son représentant et à déposer sa défense à la demande reconventionnelle; et, 3) l’admission de leur représentant sur le cœur du litige opposant les parties et l’absence de ce représentant lors de l’audition alors que l’avocat savait que cet argument serait plaidé par l’Intimé.

Une formation unanime de la Cour composée des Honorables juges Doyon, Savard et Roy intervient et casse la décision de première instance. Tout en reconnaissant la discrétion de la juge de première instance sur la question, la Cour constate que celle-ci a commis une erreur en ne donnant pas l'importance appropriée au préjudice qui serait subi par les Appelantes si leur demande était rejetée:
[7] Dans Heaslip c. McDonald, prononcé postérieurement au jugement entrepris, la Cour revoit le cadre d’analyse de l’article 177 C.p.c. et écrit :  
[31] Si la partie demanderesse démontre avoir été « en fait dans l’impossibilité d’agir » dans le délai imparti, y compris en raison de la négligence ou de l’incompétence (même grossière) de son avocat, on devrait en principe s’attendre à ce que le tribunal la relève de son défaut, tout en précisant qu’il ne s’agit pas là pour autant d’un automatisme. L’article 177 C.p.c. confère au tribunal un pouvoir discrétionnaire — il « peut » lever la sanction — qu’il doit exercer dans le respect notamment de l’article 9 C.p.c. et ainsi « assurer la saine gestion des instances en accord avec les principes et les objectifs de la procédure/ensuring proper case management in keeping with the principles and objectives of procedure ». Ces principes et objectifs reposent, entre autres, sur une gestion diligente et efficace des instances en vue d’un bon fonctionnement du système judiciaire. Tous les intervenants du milieu judiciaire, dont les juges d’instance, doivent contribuer à la célérité de la justice civile et à l’instauration de la nouvelle culture que propose la réforme procédurale. On peut donc s’attendre à ce que des comportements qui étaient auparavant tolérés ne le soient plus. Mais, du même souffle, on ne peut perdre de vue que le droit d’une partie d’être entendue et l’accessibilité aux tribunaux font également partie des principes directeurs de la procédure civile, comme le prescrivent les articles 17 C.p.c. et 23 de la Charte des droits et libertés de la personne.  
[32] L’article 177 C.p.c. requiert donc un exercice de pondération et les facteurs énoncés dans l’arrêt Zodiac (sous réserve de la précision apportée au paragraphe [30]), bien que non limitatifs, constituent un cadre d’analyse approprié. Rappelons, par souci de commodité, que ceux-ci amènent le tribunal à tenir compte, entre autres, du préjudice qui découlerait de son refus de lever la sanction, du caractère apparemment sérieux de l’action, du temps écoulé depuis l’expiration du délai d’inscription et du comportement de toutes les parties et de leurs avocats à l’égard du déroulement de l’instance.  
[Soulignements ajoutés.] 
[8] En l’occurrence, la juge s’est fondée sur des considérations erronées pour conclure comme elle l’a fait. Dès lors, malgré la déférence dont la Cour doit faire preuve en pareilles circonstances, son intervention s’impose. 
[9] Les appelantes plaident, à bon droit, que la juge omet de considérer que son refus de les relever de leur défaut leur est, à première vue, préjudiciable en raison de la prescription d’une partie de leur recours. Comme la Cour le décidait dans Marier c. Tétrault, le désistement réputé de l’article 274.3 a.C.p.c. (art. 177 C.p.c.) fait perdre l’effet interruptif de la prescription selon l’article 2894 C.c.Q. Or, selon les allégations de la demande en justice, certains des montants réclamés, qui sont antérieurs à 2014, seraient prescrits (art. 2925 C.c.Q.) si le recours devait être entrepris de nouveau. La juge omet également de considérer que l’intimé n’invoque aucun préjudice découlant de la demande des appelantes d’être relevées de leur défaut. 
[...]  
[11] Par ailleurs, et sans revenir sur tous les détails de l’affaire, il y avait imbroglio ici quant au délai pour inscrire (en raison du dépôt d’une proposition de protocole, d’un avis du tribunal inscrit au plumitif et du dépôt ultérieur de ce que les parties ont considéré comme étant un premier protocole d’instance). La juge avait raison de reprocher à l’avocat des appelantes de ne pas avoir fait les démarches nécessaires auprès du tribunal pour faire clarifier le point de départ du délai de six mois de l’article 173 C.p.c. alors que dès le 9 janvier 2017, les parties s’interrogeaient sur cette question au vu de l’avis du tribunal inscrit au plumitif et portant la date du 4 août 2016. 
[12] Toutefois, bien que l’avocat des appelantes n’ait pas fait preuve du comportement diligent requis aux fins d’assurer une saine gestion des ressources judiciaires, la juge de première instance ne pouvait, pour cette seule raison, y voir là un motif suffisant pour refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 177 C.p.c. vu les particularités de l’affaire, d’autant plus que les appelantes poursuivaient durant ce temps leurs discussions avec l’intimé pour tenter de régler le litige les opposant, démontrant leur intérêt de poursuivre leur dossier malgré leur défaut de transmettre les engagements et leur défense à la demande reconventionnelle dans le délai convenu. Ajoutons également le lien de connexité entre cette dernière procédure et la demande principale, qui milite également pour la poursuite de l’affaire. 
[13] Bref, au terme de l’exercice de pondération requis en vertu de l’article 177 C.p.c., la juge de première instance devait relever les appelantes de leur défaut.
Référence : [2018] ABD 7

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