lundi 15 janvier 2018

En matière d’interprétation de contrats créant une servitude, s'il n'est pas possible de cerner l’intention des parties, l’interprétation qui favorise le fond servant sera privilégiée

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Les règles d'interprétation des contrats sont généralement prévues aux articles 1425 à 1432 C.c.Q. Reste qu'il existe certaines règles particulières d'interprétation propres à certains types de contrats. L'affaire Samson c. Tardif (2018 QCCS 29) illustre un de ces cas alors que l'Honorable juge Stéphane Sansfaçon traite de l'interprétation des contrats créant une servitude.



Dans cette affaire, la Demanderesse recherche l'émission d'une injonction  contre les défendeurs afin qu’ils cessent de lui entraver la jouissance paisible d’un droit de passage qui lui permet de se rendre de son terrain jusqu’au lac St-François, d’y utiliser un quai et d’y amarrer un bateau. Elle demande de plus que les Défendeurs lui versent 5 000 $ en dommages-intérêts et qu’ils lui remboursent les honoraires d’avocats qu’elle a déboursés.

Les Défendeurs contestent cette procédure au motif que le droit de passage en question n’existe tout simplement pas selon eux, ayant été accordé par une personne qui n’était pas le propriétaire du terrain. Ils soutiennent à cet effet que la servitude en litige est située sur une partie remblayée du lit du fleuve Saint-Laurent qui appartenait alors à l’état et non à l’auteur de la servitude.

La nature du débat commande au juge Sansfaçon d'interpréter le contrat qui a créé la servitude qui est alléguée. À ce chapitre, il indique que la méthode principale d'interprétation est la même que celle qui prévaut pour tous les contrats: la recherche de l'intention commune des parties. Il ajoute par ailleurs que si cette méthode ne permet pas de dégager une réponse, l'interprétation qui favorise le fond servant devra alors avoir préséance:
[46] La servitude en litige s’établit par contrat. Celui qui la créé doit donc posséder le droit qu’il souhaite céder au tiers, puisque la servitude n’est autre qu’un démembrement de son droit de propriété, tel que le prévoyait l’article 545 du Code civil du Bas-Canada tel qu’il se lisait lors de la création de la servitude en litige et comme le rappelait récemment la Cour d’appel dans 4135555 Canada inc. c. Lerner :
[21] Rappelons en effet que seul celui qui a le pouvoir d’aliéner un fonds peut le grever d’une servitude au bénéfice d’un autre fonds.
[47] En matière d’interprétation de contrat créant une servitude, l’approche qui permet de cerner l’intention des parties doit être privilégiée, mais si, après un effort dans ce sens, l’exercice ne permet pas d’y arriver, l’interprétation qui favorise le fond servant sera privilégiée, comme le rappelait la Cour d’appel dans Granby (Ville de) c. Poulin (Succession de) :
[35] Comme pour tout contrat, lorsqu’on interprète un acte de servitude, il faut rechercher l’intention commune des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés (article 1013 C.c.B.-C.; article 1425 C.c.Q.). Il faut rechercher l’intention qui animait les parties « au moment où la servitude fut constituée ». Lorsqu’un doute subsiste, en dépit de toutes les manières de connaître l’intention commune des parties, il doit être résolu en faveur du fonds servant : c’est le principe de l’interprétation restrictive des charges susceptibles de grever un fonds. Ce principe d’interprétation restrictive découle du fait que la loi ne privilégie pas le démembrement du droit de propriété.
(références omises)
Référence : [2018] ABD 21

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