mercredi 17 janvier 2018

En matière de litispendance internationale, l'article 3137 C.c.Q. ne permet la suspension des procédures québécoises que lorsque l'action étrangère a été déposée avant celle du Québec. Ainsi, lorsque les actions sont déposées le même jour, les procédures québécoises ne peuvent être suspendues

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà souligné qu'en matière de litispendance internationale, l'article 3137 C.c.Q. ne permet aux tribunaux québécois de suspendre les procédures québécoises que dans la mesure où les procédures étrangères ont été déposées en premier. Qu'en est-il lorsque les procédures québécoises et étrangères sont déposées le même jour? Dans l'affaire Garage Poirier & Poirier inc. c. FCA Canada inc. (2018 QCCS 107), l'Honorable juge Marie-Anne Paquette indique que le critère de l'antériorité n'est pas rempli, de sorte que la suspension en vertu de l'article 3137 demeure impossible.


Dans cette affaire, les Défenderesses allèguent que des demandes d'autorisation d'action collectives ont été déposées le même jour contre elles en Ontario et au Québec. Elles demandent que le tribunal québécois suspende le recours introduit devant lui en faveur du recours national déposé en Ontario. 

Saisie de cette demande, la juge Paquette rappelle d'abord les conditions d'application de l'article 3137 C.c.Q.:
[19] L’exception de litispendance internationale codifiée à l’article 3137 du Code civil du Québec, cité précédemment, permet au tribunal québécois de suspendre les procédures pendantes au Québec si cinq critères sont remplis :
19.1. Les deux actions sont mues entre les mêmes parties;  
19.2. Les deux actions sont fondées sur les mêmes faits;  
19.3. Les deux actions ont le même objet;  
19.4. L’autre action est déjà pendante devant l’autorité étrangère;  
19.5. L’action étrangère peut donner lieu ou a déjà donné lieu à une décision pouvant être reconnue au Québec.
[20] Le juge saisi d’une demande en suspension fondée sur l’article 3137 du Code civil du Québec jouit tout de même du pouvoir discrétionnaire de refuser le sursis demandé, et ce, même si toutes les conditions sont respectées. Le Tribunal n’est donc pas forcé de suspendre les procédures au Québec si une telle suspension apparaît par ailleurs non souhaitable.  
[21] Cette discrétion peut notamment être exercée si l’action instituée devant l’autre juridiction ne procède pas, est dans un état d'attente ou se trouve dans une sorte de limbes judiciaires.  
[22] En matière d’actions collectives plus particulièrement, la complexité et les coûts reliés à des recours multijuridictionnels, entre autres à la lumière des variantes qui existent entre les régimes juridiques des différentes provinces canadiennes et de ses territoires, peuvent également justifier un refus de suspendre un recours québécois, et ce, malgré que les conditions de l’article 3137du Code civil du Québec soient remplies.  
[23] Notons toutefois que cette discrétion n’existe que si les conditions de l’article 3137 du Code civil du Québec sont respectées. Elle ne permet pas, à l’inverse, de passer outre aux prescriptions de cet article pour accorder un sursis des procédures québécoises malgré que toutes les conditions ne soient pas réunies.
Puisque les procédures sont introduites le même jour en Ontario et au Québec, la juge Paquette en vient à la conclusion que le critère de l'antériorité prévu à l'article 3137 C.c.Q. n'est pas rempli et que la suspension n'est donc pas possible:
[37] La quatrième condition exige que le dépôt de l’action devant l’autorité étrangère soit antérieur à celui de l’action au Québec. Cette exigence repose à la fois sur la nécessité d’éviter le « forum shopping » et sur l’emploi du terme « déjà », à l’article 3137 du Code civil du Québec. Elle s’applique en cas de litispendance internationale, lorsqu’un recours concurrent est déposé devant un tribunal étranger.  
[38] En cela, l’exigence d’antériorité du recours étranger se distingue de la règle du « premier qui dépose », qui s’applique lorsque plusieurs demandes en autorisation d’action collective sont déposées devant la Cour supérieure du Québec. La Cour d’appel du Québec a déjà précisé que la règle du premier qui dépose n’est prévue à aucun article de loi et est uniquement de droit prétorien.  
[39] La latitude et la souplesse dont les tribunaux jouissent dans l’application de cette règle, afin de déterminer laquelle des procédures concurrentes procèdera d’abord, n’existent donc pas en matière de litispendance internationale. En cette matière, les critères précis de l’article 3137 du Code civil du Québec énoncent les conditions à remplir pour demander une suspension des procédures québécoises.

[40] Ici, les procédures en autorisation ont été déposées le même jour au Québec et en Ontario.  
[…] 
[44] Cela mène à un questionnement singulier et néanmoins déterminant : lorsque des procédures sont déposées simultanément, peut-on considérer qu’une d’entre elles est antérieure à l’autre? Si oui, laquelle? La réponse à cette question varie-t-elle au gré du résultat désiré?  
[45] À défaut d’autre assise plus valable, la solution repose sur les principes de fardeau de la preuve et d’interprétation des lois.  
[46] En effet, celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Ainsi, la partie qui demande le bénéfice de la suspension des procédures a le fardeau de démontrer que les conditions de l’article 3137 du Code civil du Québec sont remplies. 
[47] De plus, les exceptions doivent être interprétées restrictivement. Or, la continuation des procédures au Québec est la règle. À preuve, même lorsque les conditions sont remplies, le Tribunal peut néanmoins refuser la suspension des procédures québécoises. L’article 3137 du Code civil du Québec fait donc exception au principe de la continuation des procédures au Québec et doit être interprété restrictivement, tout en gardant à l’esprit l’objectif de cette disposition.  
[48] De ce qui précède, il découle que les défenderesses n’ont pas établi que les procédures en Ontario ont été intentées avant les procédures au Québec. 
[49] Ainsi, la quatrième condition n’est pas remplie et la suspension ne peut être accordée.
Référence : [2018] ABD 26

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