vendredi 19 janvier 2018

Dans la mesure où le compte-rendu des procédures judiciaires est fidèle et fait de bonne foi, la publication régie par la Loi sur la presse ne peut faire l'objet d'une poursuite en diffamation

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

La Loi sur la presse prévoit certaines protection pour les publications qui sont régies par celle-ci. Une de celles-là est relative aux rapports effectués sur des procédures judiciaires. En effet, dans ce cas, la publication n'a pas à s'assurer que les faits qui sont allégués dans une procédure judiciaire ou rapportés à la Cour sont vrais dans la mesure où le compte-rendu des procédures est fidèle et fait de bonne foi. L'affaire Trams Property Management Inc. c. Postmedia Network Inc. (2018 QCCS 97) traite de ce principe.


Dans cette affaire, les Demandeurs ont intenté une poursuite en diffamation contre la Défenderesse. Ils allèguent que cette dernière a porté atteinte à leur réputation en publiant un article diffamatoire à leur sujet dans le journal The National Post le 7 décembre 2016.

Ledit article traite de procédures judiciaires en vices cachés intentées contre la Demanderesse en 2012.

La Défenderesse présente une demande de rejet au motif que la Loi sur le presse prévoit son immunité lorsqu'elle rapporte des faits allégués dans une procédure judiciaire. Elle ajoute qu'elle n'a pas l'obligation de vérifier la véracité des allégués dans un tel contexte. 

Saisie de la demande en rejet, l'Honorable juge Michèle Monast y fait droit. Elle souligne en effet que la Défenderesse bénéficie d'une immunité dans la mesure où elle rapporte fidèlement le contenu des procédures judiciaires et est de bonne foi:
[19] The National Post est un « journal » selon le sens donné à cette expression par l’article 1 de la Loi sur la presse et il peut, à ce titre, invoquer les divers moyens de défense prévus dans cette loi.  
[20] Or, en vertu de l’article 10 de cette loi, un journal peut publier les rapports des séances des tribunaux, pourvu que ces dernières ne soient pas tenues à huis clos, que les comptes rendus soient fidèles et que les faits soient rapportés exactement et de bonne foi :
10. Pourvu que les faits soient rapportés exactement et de bonne foi, la publication, dans un journal, de ce qui suit est privilégiée: 
a) les rapports des délibérations du Sénat, de la Chambre des Communes, de l’Assemblée nationale et de leurs comités d’où le public n’a pas été exclu ainsi que les rapports du Protecteur du citoyen déposés devant l’Assemblée nationale; 
b) tout avis, bulletin ou recommandation émanant d’un service d’hygiène gouvernemental ou municipal; 
c) les avis publics donnés par le gouvernement ou par une personne autorisée par lui au sujet de la solvabilité de certaines personnes morales ou relativement à la valeur de certaines émissions d’obligations, actions ou stocks; 
d) les rapports des séances des tribunaux pourvu qu’elles ne soient pas tenues à huis clos, et qu’ils soient fidèles. 
La présente disposition n’affecte cependant ni ne diminue les droits de la presse en vertu du droit commun.
[21] Un journal peut donc rapporter une décision judiciaire sans avoir à vérifier, au préalable, la véracité ou l’exactitude des faits qui y sont contenus, pourvu qu’ils soient rapportés de manière exacte et que la publication soit faite de bonne foi. Cette proposition a été maintes fois réaffirmée par les tribunaux.  
[22] Dans Groupe Québécor Inc. c. Cimon, la Cour d’appel a traité de cette question :
[26] Le principe de la publicité des débats judiciaires est inextricablement lié à la liberté d'expression garantie par les Chartes. Il comprend le droit d'exprimer des opinions sur le fonctionnement des tribunaux, le droit des justiciables d'obtenir de l'information sur les tribunaux et celui de la presse de recueillir et diffuser cette information. La publicité des débats judiciaires, considérée comme la garantie des garanties, assure que la justice soit administrée de manière non arbitraire. Cette règle favorise donc la confiance du public dans le système judiciaire et la compréhension de l'administration de la justice. 
[…] 
[28] Enfin, à l'instar de plusieurs provinces canadiennes, le Québec a adopté une loi particulière, la Loi sur la presse, qui accorde au journal une immunité lorsque certaines conditions sont remplies. Je note que cette loi et les mécanismes de protection qu'elle aménage ont été étendus aux journalistes, qui sont les premiers agents du travail d'information. 
[…] 
La véracité des faits rapportés : 
[36] L'intimé fait fausse route en exigeant du journaliste qu'il s'assure, avant de les rapporter, de la véracité des faits qui sont énoncés dans des procédures judiciaires. À mon avis, la seule question qui se pose dans ce cas est celle de l'exactitude des informations rapportées par rapport à celles qui sont contenues dans la procédure judiciaire. 
[37] S'il en était autrement, le droit du public d'être informé des débats judiciaires serait illusoire. Je vois difficilement comment, par exemple, un journaliste pourrait s'assurer, avant un procès, qu'une accusation portée contre une personne est bien fondée ou encore que les faits relatés dans une procédure sont vrais. 
L'exactitude des faits rapportés : 
[38] L'article 10 de la Loi sur la presse exige que le rapport de procédures ou de débats judiciaires soit fidèle, exact et qu'il soit fait de bonne foi. Cela ne signifie pas que le journaliste soit soumis au carcan du mot à mot, comme le souligne à juste titre le premier juge. 
[39] Il suffit que son article livre le substrat de la procédure ou des débats judiciaires sans extrapolation ou omission susceptible de les dénaturer ou de créer une impression erronée de leur contenu. En réalité, l'article doit présenter les faits essentiels avec rigueur.  
[…]
Référence : [2018] ABD 29

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