mercredi 22 novembre 2017

Il n'est pas possible d'invoquer pour la première fois en appel une contravention aux règles de preuve prévues aux articles 2860 à 2868 C.c.Q.

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Même s'il existe certaines exceptions, les objections à la preuve doivent généralement être faites en temps utile, sous peine de ne pouvoir être soulevées ultérieurement. C'est définitivement le cas pour les objections formulées en vertu des articles 2860 à 2868  C.c.Q., pour lesquelles la Cour ne peut pas intervenir d'office. C'est ce que souligne l'Honorable juge Marie-France Bich dans l'affaire Demco Démolition inc. c. Cérat (2017 QCCA 1832).



Dans cette affaire, les Requérants demandent la permission d'en appeler d'un jugement de la Cour du Québec qui a rejeté leur recours et a accueilli la demande reconventionnelle de l'Intimée. Ils reprochent principalement au juge de première instance d'avoir accepté une preuve testimoniale visant à contredire un écrit contrairement à l'article 2863 C.c.Q.

La difficulté découle du fait que les Requérants ne sont pas objectés à cette preuve en première instance.

La juge Bich y voit un obstacle insurmontable puisque l'article 2859 C.c.Q. prévoit expressément que le tribunal ne peut suppléer d'office à un tel moyen. L'absence d'objection en temps utile est donc fatale en l'instance:
[16]        Mais il y a plus. L’interdiction de la preuve testimoniale aux termes de l’art. 2863 C.c.Q. n’est pas absolue et le juge du procès ne saurait soulever lui-même l’irrecevabilité d’une preuve testimoniale qui, sans commencement de preuve, prétendrait contredire l’écrit constatant un acte juridique. L’art. 2859 C.c.Q. énonce en effet que : 
[...] 
[17]        Cette disposition impose au plaideur qui entend contester la recevabilité d’une preuve en se fondant sur les art. 2860 à 2868 C.c.Q. l’obligation de manifester, par une objection faite en temps utile, son opposition à cette preuve. Si objection il n’y a pas, le juge ne peut y suppléer, l’art. 2859 C.c.Q. l’en empêchant, et la preuve introduite ainsi au dossier est réputée l’avoir été valablement. Le juge peut dès lors la considérer. 
[18]        En l’espèce, y a-t-il eu objection à la preuve testimoniale présentée en défense? Les requérants ne l’établissent pas d’une manière qui suffise à ce stade. Selon le paragr. 12 de leur déclaration d’appel, il semble ainsi que l’avocat qui les représentait en première instance ait, au cours de l’interrogatoire de l’intimée (qu’il a fait témoigner en demande), obtenu d’elle l’admission qu’il n’existait aucun écrit de la partie adverse contredisant le texte des billets. Il aurait à ce moment-là indiqué au juge que cette admission était capitale et « empêcherait la possibilité de présenter une preuve testimoniale ». Interrogé à ce sujet par la soussignée lors de l’audition de la présente requête, l’avocat des requérants a reconnu qu’il ne pouvait dire les termes exacts qu’il avait employés, mais que le juge aurait dû comprendre ce dont il était question. Il ne paraît toutefois pas qu’il ait formellement soulevé l’art. 2863 C.c.Q. (c.-à-d. qu’il ait fait une objection spécifique et motivée). 
[19]        Par ailleurs, on comprend des explications qu’il donne lors de l’audition de la présente requête, que l’intimée, en réponse aux questions que lui posait l’avocat des requérants, avait déjà commencé à établir oralement les jalons de la thèse qu’elle entendait défendre. Or, ainsi que l’écrit Donald Béchard : « Une partie ne peut s’opposer à l’irrégularité d’une preuve qu’elle a déjà contribué à introduire elle-même au dossier ». 
[20]        On peut donc difficilement parler ici d’une objection utile au sens de l’art. 2859 C.c.Q., l’avocat des requérants reconnaissant par ailleurs, avec une honnêteté qui l’honore, n’avoir formulé aucune objection à la preuve testimoniale ultérieurement présentée par la défense. On est donc loin de la situation en cause dans Springlea Farm, s.e.n.c., affaire dans laquelle une objection à toute preuve testimoniale a été formulée explicitement à la première tentative d’établir par ce moyen l’existence d’une promesse de vente, objection qui a été prise sous réserve, comme il se doit. 
[21]        Bref, l’avocat des requérants ne s’étant pas opposé valablement à la preuve testimoniale présentée par l’intimée, le juge ne pouvait suppléer au défaut d’objection en raison de l’art. 2859 C.c.Q. et n’avait pas à empêcher l’administration de cette preuve qu’il était par la suite en droit de considérer. De ce point de vue, l’appel paraît donc voué à l’échec.

Référence : [2017] ABD 465

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