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On le sait, toute ordonnance d'injonction en matière de diffamation pose de grande difficultés, particulièrement au stade interlocutoire. Reste que si l'on peut concevoir que les tribunaux puissent ordonner le retrait de propos publiés ou la cessation du prononcé desdits propos, forcer une personne à s'excuser est très problématique. C'est pourquoi j'avais attiré votre attention en décembre 2014 sur une décision qui refusait une telle ordonnance. Or, sans trancher définitivement la question, une autre décision récente vient refuser une telle demande. Il s'agit de l'affaire Lalande c. Dumais (2017 QCCS 4022).
Dans cette affaire, le Demandeur intente des procédures en diffamation contre le Défendeur après que ce dernier - dans le cadre d'une dispute relative à la politique municipale - déclare que le Demandeur devrait démissionner en raison d'un sérieux conflit d'intérêts et pour inconduite.
Saisi de cette demande, l'Honorable juge Benoit Moore en vient à la conclusion - après analyse de la preuve - que les propos du Défendeur étaient effectivement diffamatoires et fautifs. Qui plus est, il est d'avis que le Demandeur a subi des dommages qu'il chiffre à 7 500$ en dommages compensatoires et 5 000$ en dommages punitifs.
Le juge Moore se penche ensuite sur la demande du Demandeur pour l'obtention d'une lettre d'excuses. Bien qu'il n'exclut pas complètement la possibilité pour un tribunal de prononcer une telle ordonnance, il ne la juge pas appropriée dans les circonstances:
[55] Lalande réclame également une ordonnance afin de contraindre Dumais à se rétracter et à rédiger une lettre d’excuses en sa faveur. Certaines décisions incluent dans leurs conclusions une telle ordonnance. Le Tribunal note également que ce type de sanction est explicitement prévu dans certaines législations.
[56] Cette sanction soulève toutefois des difficultés pratiques importantes, notamment quant au contenu de la lettre ou encore quant à la sincérité de celle-ci. Voilà pourquoi une certaine jurisprudence refuse d’inclure de telle ordonnance dans leurs conclusions. Cette division de la jurisprudence démontre bien que ce type de sanction interpelle, de manière particulièrement sensible, l’équilibre entre la liberté d’expression du fautif et le droit de la victime à une juste réparation. Sans trancher la question sur le principe, le Tribunal, en l’espèce, le refusera pour deux motifs.
[57] D’abord, le demandeur ne soumet pas de texte au Tribunal. Or, une éventuelle ordonnance doit être suffisamment précise afin d’être susceptible d’exécution et il ne revient pas au Tribunal, dans le secret de son délibéré, de rédiger la lettre. Celle-ci doit être soumise au débat contradictoire ou, mieux, faire l’objet d’une entente entre les parties.
[58] Ensuite, les circonstances particulières du dossier ne paraissent pas commander au Tribunal, même s’il avait eu des indications suffisantes quant au contenu de celle-ci, d’ordonner au défendeur de rédiger une lettre d’excuses et de rétractation. Les tribunaux doivent veiller à ne pas interférer de manière injustifiée dans l’arène politique. Or, considérant le contexte politique de l’espèce et tout particulièrement le fait que les parties, selon la preuve, semblent susceptibles de se présenter l’une contre l’autre à la mairie de Saint-Colomban aux prochaines élections, le Tribunal conclut qu’une telle ordonnance pourrait se voir instrumentalisée. De plus, le Tribunal rappelle que les décisions de justice sont publiques et considère que la seule publicité du jugement constitue une réparation adéquate dans les circonstances.
Référence : [2017] ABD 365[59] Pour cette même raison, le Tribunal ne prononcera pas de conclusion, comme le lui demande Lalande, afin de l’autoriser à communiquer le jugement à toute personne ayant eu connaissance des propos diffamatoires. Une telle conclusion n’est en rien utile. Une fois encore, la décision du Tribunal est publique et quiconque peut y référer.
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