samedi 16 septembre 2017

Par Expert: seul un rapport qui porte sur des questions scientifiques ou techniques peut se qualifier à titre d'expertise

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

On oublie trop souvent que la preuve par expert a une portée limitée. En effet, selon la décision de la Cour suprême dans R. c. Mohan, une telle preuve n'est admissible que dans des circonstances bien précises. Une des limitations prévues par cette affaire implique que seuls les rapports qui portent sur des questions scientifiques ou techniques peuvent se qualifier à titre d'expertise. C'est ce que rappelle l'Honorable juge Élise Poisson dans Éditions Québec Amérique inc. c. Druide Informatique inc. (2017 QCCS 4092).


Dans cette affaire, la juge Poisson est saisie d'une poursuite par laquelle la Demanderesse allègue que la Défenderesse a illégitimement intégré son produit dans le sien. La Demanderesse réclame donc des sommes importantes en dommages et que la Cour ordonne à la Défenderesse de stopper cette intégration.

La Défenderesse présente une expertise qui vise à expliquer à la Cour quel serait l'impact de forcer la Défenderesse à remplacer des composantes de son produit. La Demanderesse s'objecte à la production de ce rapport et au témoignage de l'expert.

Après analyse, la juge Poisson maintient l'objection au motif qu'il ne s'agit pas d'une expertise à proprement parler. Le rapport ne se penche pas sur des questions scientifiques ou techniques et n'émet pas vraiment d'opinion:
[177]        Le rapport ne porte pas sur des questions scientifiques ou techniques devant être tranchées par le Tribunal. Il s’agit plutôt d’un témoignage portant sur l’approche préconisée par Druide informatique dans l’éventualité où elle devait cesser d’utiliser Le Visuel dans Antidote.   
[178]        Le témoignage de Monsieur Pelletier, à titre de témoin de faits, quant à son estimé de temps pour remplacer Le Visuel Nano et Le Visuel intégré dans Antidote constitue l’un des éléments de preuve que le Tribunal doit apprécier, en autant que les règles de preuve applicables aux témoins des faits soient respectées. 
[179]        La pertinence du témoignage de Monsieur Pelletier, comme témoin de faits, sur le cheminement critique qu’il propose, ne fait pas en sorte que son rapport constitue une expertise. Il s’agit, tout au plus, d’un document préparé à l’appui de son témoignage, fondé, en partie, sur du ouï-dire et « sur des faits dont il possède une connaissance personnelle et en relation directe et logique avec la preuve établie par les faits ». Il reviendra au Tribunal d’apprécier la force probante du témoignage de Monsieur Pelletier, suivant les règles de preuve applicables aux témoins de faits. 
[180]        Même si le Tribunal devait conclure qu’il s’agit d’un rapport d’expert, il demeure inadmissible puisque d’une part, Monsieur Pelletier n’a pas l’objectivité et l’indépendance requises lui permettant d’agir à titre d’expert et, d’autre part, de son propre aveu, il ne dispose pas de l’expertise suffisante pour témoigner sur certains volets du cheminement critique qu’il propose au Tribunal.  
[181]        Depuis 1993, Monsieur Pelletier est activement impliqué au sein de Druide informatique. Il est l’un des trois actionnaires fondateurs et occupe un poste d’administrateur. L’enjeu du présent litige concerne le logiciel Antidote, un produit phare de Druide informatique. Monsieur Pelletier est intimement associé au développement de ce logiciel et a participé à toutes les phases de l’intégration du Visuel dans Antidote. Il ne s’agit pas d’un simple lien d’emploi. Monsieur Pelletier est au cœur du développement du produit en litige.  
[182]        Cette situation place Monsieur Pelletier dans une situation de conflit d’intérêts qui l’empêche de rendre un témoignage objectif et impartial car l’issue du présent litige concerne le développement futur d’un produit sous sa responsabilité depuis 1993.
Référence : [2017] ABD Expert 36

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