dimanche 6 août 2017

NéoPro: le délai pour déposer un appel incident est maintenant de rigueur, mais la Cour peut autoriser un tel appel hors délai même six mois après que le jugement de première instance a été rendu

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous continuons cet après-midi notre mission de mettre en valeur certaines distinctions entre les dispositions de l'ancien et du nouveau Code de procédure civile en discutant de l'appel incident. Même si ce n'est certes pas le premier sujet qui vient à l'esprit, il n'en reste pas moins que la question a son importance. Or, comme le souligne la Cour d'appel dans l'affaire Lambert c. Bérubé (2017 QCCA 1149), le nouveau Code a changé la donne de manière importante en la matière puisque le délai pour former un appel incident est maintenant de rigueur, alors qu'il ne l'était pas avant le 1er janvier 2016.



Dans cette affaire, une formation de la Cour composée des Honorables juges Savard, Marcotte et Schrager est saisie d'une demande des Intimés pour être relevé du défaut d'avoir produit leur mémoire et pour permission de former un appel incident hors délai.

C'est cette deuxième question qui nous intéresse.

En effet, en vertu de l'ancien Code, le délai pour former un appel incident n'était pas de rigueur. Or, la Cour en vient ici à la conclusion que le nouvel article 360 C.p.c. change le droit sur la question et que le délai est maintenant de rigueur, de sorte qu'il faut démontrer une impossibilité d'agir pour être autorisé à former un tel appel hors délai: 
[14]        Depuis le 1er janvier 2016, les délais pour interjeter l’appel principal et l’appel incident sont regroupés au sein d’une même disposition, l’article 360 C.p.c. (reproduit supra, paragraphe [11]), dans la section II intitulée : Les délais d’appel, du Chapitre I : L’introduction de l’instance d’appel. Selon l’article 363 C.p.c. (également reproduit supra, paragraphe [11]), le délai d’appel incident est maintenant de rigueur et emporte déchéance du droit d’appel, au même titre que l’appel principal, ce qui déroge à la situation prévalant sous l’ancien Code de procédure civile. Le premier alinéa de l’article 363 C.p.c. parle en effet de « tous les délais d’appel ». 
[15]        Les auteurs Rochon et Vani expriment l’avis que c’est précisément pour tenir compte de cette modification quant au délai de l’appel incident que le législateur a expressément octroyé le pouvoir à la Cour d’appel d’autoriser des appels incidents hors délai au second alinéa, in fine, de l’article 363 C.p.c. Ils écrivent : 
Le pouvoir de la Cour d’appel d’autoriser un appel hors délai s’il ne s’est pas écoulé plus de six mois depuis le jugement contesté reprend l’article 523 a.C.p.c. Le critère de l’impossibilité d’agir est aussi repris. S’y ajoute aussi le critère des chances raisonnables de succès, ce qui codifie la jurisprudence qui s’était développée sous le Code de procédure civile. Ce pouvoir d’autorisation n’est plus restreint dans le cas où le jugement est rendu dans les circonstances de l’ancien article 198.1 a.C.p.c. (art. 495).  
Le même [le second] alinéa codifie aussi l’arrêt de la Cour suprême Québec (Communauté urbaine de) c. Services de santé du Québec (1992 CanLII 122 (CSC), EYB 1992-80056, [1992] 1 R.C.S. 426, J.E. 92-332) en prévoyant expressément que la Cour d’appel a le pouvoir d’autoriser un appel incident hors délai. Néanmoins, l’affirmation de la Cour suprême dans cet arrêt que le délai pour se porter appelant incident n’était ni de rigueur, ni de déchéance n’est plus vraie. Le premier alinéa de l’article 363 prévoit que « les » délais d’appel « sont » de rigueur (voir les commentaires relatifs à l’article 359). Le législateur n’avait donc d’autres choix que d’octroyer expressément le pouvoir à la Cour d’appel d’autoriser les appels incidents hors délai au deuxième alinéa puisque son pouvoir général de rendre toutes les ordonnances propres à sauvegarder les droits des parties (art. 49 et art. 46 a. C.p.c.) aurait pu se révéler insuffisant pour lui permettre d’autoriser un appel formulé après l’expiration du délai lorsque ce dernier est de rigueur (voir Pelletier c. Canada (Procureur général), 2008 QCCA 333 (CanLII), EYB 2008-129972, J.E. 2008-523). L’entière discrétion dont la Cour jouissait à cet égard est dorénavant balisée par les termes « si elle l’estime approprié » de l’article 363 al. 2. Puisque le délai pour former un appel incident est un délai de rigueur, l’impossibilité d’agir devra dans tous les cas être démontrée (art. 84).  
[Soulignements ajoutés et notre ajout.] 
[16]        La question demeure, par contre, quant à savoir si la Cour peut autoriser un tel appel incident même s’il s’est écoulé plus de six mois depuis le jugement de première instance. Le second alinéa, in fine, de l’article 363 C.p.c. codifie-t-il dans tous ses aspects l’arrêt Québec (Communauté urbaine de) c. Services de santé du Québec ou lie-t-il dorénavant le pouvoir de la Cour d’autoriser un appel incident hors délai à la limite du délai de six mois depuis le jugement de première instance à laquelle il est fait référence dans le même alinéa?  
[...]
[20]        Il faut dès lors s’en tenir au libellé de l’article 363 C.p.c. qui, selon la Cour, lui permet d’autoriser un appel incident hors délai, même si plus de six mois se sont écoulés depuis le jugement entrepris. Il y a ici codification de la règle jurisprudentielle antérieure. 
[21]        Il est vrai que le législateur semble se diriger vers une assimilation plus grande de l’appel incident à l’appel principal, en prévoyant notamment un délai de rigueur dans les deux cas. Toutefois, le second alinéa de cette disposition distingue l’appel de l’appel incident, conférant expressément le pouvoir à la Cour de relever une partie de son défaut, tant à l’égard du premier – elle « peut autoriser l’appel s’il […]/may authorize an appeal if […]» – que du second – elle peut, […], autoriser l’appel incident si […]/may, […], authorize an incidental appeal if […] ». 
[22]        Chacun est ainsi assujetti à des conditions qui lui sont propres. L’appel pourra être autorisé si, d’une part, moins de six mois se sont écoulés depuis le jugement et, d’autre part, la partie concernée démontre son impossibilité d’agir et les chances raisonnables de succès de son appel. Quant à l’autorisation de former un appel incident « après l’écoulement du délai fixé/even after the time limit has expired », elle peut être accordée si la Cour « l’estime approprié/if it considers it appropriate ». 
[23]        D’aucuns pourraient prétendre que la mention « après l’écoulement du délai fixé/even after the time limit has expired », propre à l’appel incident, se rapporte à l’expression « s’il ne s’est pas écoulé plus de six mois depuis le jugement/if not more than six months have elapsed since the judgment », en lien avec l’appel principal, en raison des termes « écoulement » et « écoulé ». Toutefois, une telle lecture fait fi de la version anglaise qui, d’une part, n’utilise pas une terminologie semblable et, d’autre part, réfère précisément au délai d’appel par le biais de l’utilisation de l’expression « délai fixé/time limit ». Il s’agit d’ailleurs de la même terminologie utilisée au premier alinéa de l’article 363 C.p.c., qui réfère aux délais d’appel de l’article 360 C.p.c, de 30 ou 10 jours selon la nature de l’appel. 
[24]        Cela dit, la lecture de l’article 363 C.p.c. dans son ensemble permet de conclure que la période de six mois depuis le jugement, applicable à l’appel principal, ne constitue pas une limite au pouvoir de la Cour au regard de l’appel incident.
Référence : [2017] ABD NéoPro 31

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