mercredi 31 mai 2017

La véracité des propos a son importance en matière de diffamation

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous discutons diffamation dans l'arène politique ce matin puisque la Cour d'appel vient de rendre sa décision dans l'affaire Séguin c. Pelletier (2017 QCCA 844). Celle-ci contient un exposé de droit remarquable (du moins selon moi) de la part de l'honorable juge François Pelletier sur les principes qui sous-tendent le recours en diffamation en droit québécois. Sont particulièrement pertinents pour nos fins de ce matin les commentaires du juge Pelletier sur la véracité (ou non) des propos. En effet, s'il est vrai que des propos véridiques peuvent être diffamatoires et fautifs en droit québécois, cela ne veut pas dire que la véracité des propos n'a pas d'importance dans le cadre d'analyse.



L'affaire a été très médiatisée, de sorte que je présume que la plupart d'entre vous sont familiers avec la trame factuelle. Pour les autres, retenons simplement que l'Intimé - ancien maire de Brossard - poursuit les Appelants - des conseillers municipaux - en diffamation.

Le jugement de première instance donne raison à l'Intimé et lui accorde quelque centaines de milliers de dollars en dommages pécuniaires, moraux et punitifs, d'où le pourvoi des Appelants.

Au nom d'une formation unanime, le juge Pelletier infirme la décision de première instance et rejeter la poursuite de l'Intimé. Comme vous le savez, À bon droit ne résume pas les décisions au complet, mais je vous recommande fortement de lire le jugement intégral de la Cour d'appel parce qu'il présente superbement les principes juridiques applicables.

Le juge Pelletier commence d'abord par souligner la distinction entre la diffamation et la faute. Les lecteurs assidus d'À bon droit savent que c'est pour moi une question très importante parce que trop de décisions confondent les deux notions:
[64]        Dans le cas à l’étude, le juge a estimé que les propos de M. Séguin étaient de nature à faire perdre l’estime ou la considération à l’endroit du maire Pelletier, ou à susciter à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. Je ne vois pas de motifs justifiant de remettre en cause cette appréciation.  
[65]        On le sait, toutefois, cette seule qualification ne permet pas d’inférer le comportement fautif. En matière de diffamation, la méthode d’analyse propre au droit civil diffère de celle préconisée par la common law. Voici ce qu’enseigne la Cour suprême dans Prud’homme c. Prud’homme 
57        Ainsi qu’on peut le constater, l’action en diffamation en droit civil procède en quelque sorte à l’inverse du recours en diffamation de common law. En droit civil, la bonne foi du défendeur est présumée (art. 2805 C.c.Q.) et il appartient au demandeur de démontrer que celui-ci a commis une faute. En common law, la malveillance est présumée dès que le demandeur réussit à démontrer que le défendeur a prononcé des paroles désobligeantes à son égard. Le défendeur peut tenter de renverser cette présomption en invoquant l’immunité relative. S’il parvient à démontrer que les critères de cette défense sont satisfaits, la présomption de malveillance tombe et fait place à une présomption de bonne foi. Le demandeur doit alors établir la mauvaise foi ou l’intention malveillante du défendeur (É. Colas, « Le droit à la vérité et le libelle diffamatoire » (1984), 44 R. du B. 637, p. 652-654; Brown, op. cit., p. 13-15 à 13-20; Gaudreault-Desbiens, loc. cit., p. 500).  
[soulignement ajouté] 
[66]        Cette différence est majeure et implique qu’il faut se prémunir contre le réflexe plutôt naturel d’établir une sorte d’équivalence entre l’existence d’une diffamation et celle d’une faute. La diffamation ne crée pas de présomption de faute et, à cet égard, le fardeau de la partie demanderesse demeure entier.

Comme l'indique ensuite le juge Pelletier, le détermination de la faute lorsque les propos jugés diffamatoires sont factuels dépend en grande partie de la véracité des propos en question. Ainsi, la Cour doit se pencher sur la véracité des propos et ne peut se limiter à conclure qu'ils sont diffamatoires et donc fautifs:
[67]        À quelle enseigne la faute loge-t-elle? Prenant appui sur un passage du traité de Baudouin et Deslauriers et sur celui de Pineau et Ouellette, la Cour suprême trace les balises suivantes : 
36     À partir de la description de ces deux types de conduite [la malveillante et la négligente], il est possible d'identifier trois situations susceptibles d'engager la responsabilité de l'auteur de paroles diffamantes. La première survient lorsqu'une personne prononce des propos désagréables à l'égard d'un tiers tout en les sachant faux. De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l'intention de nuire à autrui. La seconde situation se produit lorsqu'une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu'elle devrait les savoir fausses. La personne raisonnable s'abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité. Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l'égard d'un tiers. 
[68]        Outre la troisième situation évoquée par la Cour suprême, laquelle, selon moi, ne trouve guère application en l’espèce, la bonne ou la mauvaise foi s’apprécie d’abord et avant tout à l’aune de la véracité ou de la fausseté des propos incriminés. Pour conclure à l’existence d’une faute, il faut donc vérifier si les faits énoncés sont vrais ou faux. Or un énoncé de faits n’est ni une opinion ni un comportement consécutif à une opinion. 
[69]        Dans l’analyse de la véracité ou de la fausseté des propos incriminés, il importe de distinguer dans la mesure du possible ceux qui relèvent d’une description factuelle de ceux qui relèvent de l’expression d’une opinion. Malheureusement, la distinction entre faits et opinions ne coule pas toujours de source. Plus souvent qu’autrement, on se trouvera en présence de propos où s’entremêlent subtilement les uns et les autres. L’auteur Brown estime pour sa part que la remise en contexte et la réaction de la personne ordinaire sont des outils précieux pour apporter une solution à ce problème : 
“Would an ordinary person, reading the matter complained of, be likely to understand it as an expression of the writer’s opinion or as a declaration of an existing fact?”  
It is said that a comment is “essentially a statement of opinion as to the estimate to be formed of a person writings or actions”. It “is a statement of opinion about the facts”. Therefore, in order for an expression to be a protected opinion, it must be a comment upon something else.  
A comment is a statement of opinion of facts. A libellous statement of fact is not a comment or criticism on anything. It is comment to say that a certain act which a man has done is disgraceful or dishonourable; it is an allegation of fact to say that he did the act so criticized.  
An opinion generally appears in the form of a “deduction, inference, conclusion, criticism, judgment, remark [or] observation”. It involves language which cannot be tested by the senses or implicates principles upon which civilized society is not in agreement. Statements “cast in the form of a prophecy of future events” will generally be treated as comments and not facts.  
“An inference or a deduction from facts may properly be regarded as comment”; an implication, however, cannot. As such, an opinion is a subjective evaluation and incapable of proof. It merely represents a value judgement of the speaker or writer. Its truth or untruth, or justness or unjustness, can never be more than a matter of pure conjecture or speculation.  
An opinion differs from a statement of fact. The latter is a “direct statement concerning or description of a subject of public interest”, since this can be weighted, tested, dissected or analyzed and conclusions drawn as to whether it accurately reflects the thing it purports to represent or the statement which the author has made. In other words there are acceptable and uniform methods by which it can be verified objectively and its truth or falsity determined. Thus in the example previously given, the taking of money in exchange for favours describes conduct which can be empirically verified by witnesses. 
[...] 
[77]        Selon moi, les citoyens, spectateurs de ce pugilat politique, en connaissaient le contexte et comprenaient par le fait même que, très souvent, les mots utilisés ne pouvaient et ne devaient pas être pris au pied de la lettre. 
[78]        Voilà pourquoi, à mon avis, les commentaires diffamatoires exprimés par le conseiller Séguin, lorsque replacés dans le contexte du débat politique partisan, ne franchissent pas les frontières de l’intolérable et ne constituent pas une faute.
Référence : [2017] ABD 215

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