mardi 10 janvier 2017

La quantification des dommages compensatoires en cas de diffamation

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

En matière de diffamation, la quantification des dommages est souvent difficile à faire pour la partie demanderesse. C'est pourquoi nous attirons cet après-midi votre attention sur l'affaire Gosselin c. Charest (2017 QCCS 35) où l'Honorable juge Sylvain Provencher pose les principes permettant aux tribunaux de quantifier les dommages compensatoires.



Dans cette affaire, le juge Provencher est saisi de l'action des Demandeurs en diffamation contre les Défendeurs. Ils demandent l'émission d'une injonction permanente et réclament des dommages compensatoires et punitifs pour atteinte à leur vie privée, à leur intégrité et à leur réputation.

Ce n'est pas tant la question de la responsabilité pour les propos diffamatoires qui nous intéresse - le juge Provencher en venant à la conclusion que la Défenderesse a clairement commis une faute, mais n'avait pas la faculté de discernement nécessaire pour être tenue responsable - mais la quantification des dommages.

En effet, même s'il est d'avis que le recours doit échouer, le juge Provencher commente les principes qui doivent guider la Cour dans la quantification des dommages compensatoires en matière de diffamation:
[115]     La quantification du montant approprié pour la compensation du préjudice découlant de la diffamation ou de l’injure demeure une étape difficile, qui fait appel à des paramètres imprécis laissant une bonne marge de manœuvre au juge du procès.  Comme le mentionne souvent la doctrine et la jurisprudence, le préjudice moral n’est pas aisément monnayable.
[116]     Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore mentionnent plus particulièrement ce qui suit: 
1-601 – Généralités – La notion de diffamation a généré un important contentieux.  Toute atteinte illicite à la réputation constitue une faute qui, si la preuve la soutient, doit être sanctionnée par une compensation pécuniaire.  L’évaluation du dommage, surtout en ce qui a trait aux dommages-intérêts non pécuniaires, présente plusieurs difficultés.  
(…)  
1-605 – Dommages-intérêts non pécuniaires – La plupart du temps cependant, l’essentiel de la réclamation est constitué des dommages moraux éprouvés par la victime.  Il s’agit alors de compenser l’atteinte à sa réputation et de chercher à réparer l’humiliation, le mépris, la haine ou le ridicule dont elle a fait l’objet.  Les sommes accordées par les tribunaux varient selon les espèces.  Parfois ils n’octroient qu’une compensation symbolique pour souligner la sanction de la diffamation, notamment lorsqu’ils estiment que le fait allégué était vrai, mais qu’il y a quand même eu faute dans sa publication.  Comme le constatait la Cour d’appel, la jurisprudence récente a tendance à se montrer plus généreuse.  La cour mentionne également que les précédents en la matière peuvent servir de guide afin de ne pas transformer les recours en " sorte de loterie ".  Lorsque l’attaque est intentionnelle, on peut également y ajouter les dommages punitifs. »  
[117]     La juge Marie St-Pierre, alors qu’elle est à la Cour supérieure, suggère l’application des huit critères suivants pour déterminer le dommage résultant d’un acte diffamatoire: 
« [263] Huit critères guident le Tribunal dans l’évaluation de la réclamation et du quantum à accorder : (1) la gravité intrinsèque de l’acte, (2) sa portée particulière sur celui ou celle qui en a été la victime, (3) l’importance de la diffusion, (4) l’identité des personnes qui en ont pris connaissance et les effets que l’écrit a provoqués chez ces personnes, (5) le degré de déchéance plus ou moins considérable à laquelle la diffamation a réduit la victime par comparaison à son statut antérieur, (6) la durée raisonnablement prévisible du dommage causé et de la déchéance subie, (7) la contribution possible de la victime par sa conduite ou ses attitudes et, finalement, (8) les circonstances extérieures qui, de toute façon et indépendamment de l’acte fautif, constituent des causes probables du préjudice allégué ou de partie de ce préjudice. » 
[118]     Les gestes posés par Charest, les propos qu’elle a tenus à l’endroit de St-Amour et Gosselin sont hautement diffamatoires et dommageables, voire destructeurs.  Que de pire que de se voir taxer de vouloir assassiner son mari, de maltraiter et d’abuser physiquement et sexuellement de son enfant. 
[119]     Même si une décision judiciaire affirme que tel n’est pas le cas, que cette histoire résulte que de l’imagination de Charest qui de surcroît, souffre de problèmes de santé mentale, il demeure que les événements invoqués laissent des traces dans la communauté. 
[120]     Gosselin et St-Amour affirment se sentir jugés par leurs voisins, les gens qu’ils côtoyaient dans le cadre de leurs activités ou celles de la famille, qu’elles soient sociales ou sportives.  Aussi, certaines personnes ne leur adressent plus la parole ou ne les saluent tout simplement plus. 
[121]     Malgré ce qu’ils affirment, le Tribunal constate que la preuve à cet égard est plutôt mince.  À l’exception de quelques personnes seulement, qui sont soit de bonnes connaissances de St-Amour et Gosselin ou des amis, force est de constater que les demandeurs n’ont pas véritablement établi ce qu’ils avancent en termes d’ampleur de la diffusion. 
[122]     Il y a bien sûr certains intervenants de la DPJ, des agents de police et la directrice de l’école fréquentée par X qui ont reçu les propos diffamatoires.  Ces personnes, de par leurs fonctions, sont soumises à la règle de la confidentialité de sorte qu’il y a peu de risque qu’il y ait propagation de l’information.  Aussi, la preuve démontre que ces mêmes personnes ne croient aucunement l’histoire racontée par Charest.  Au contraire, elles ont même participé à y mettre un terme. 
[123]     Heureusement, toute cette histoire ne dure que quelques mois puis les propos cessent dès le mois de février 2014, à compter de la signification des procédures judiciaires. 
[124]     Vu ce qui précède, le Tribunal estime que la somme de 15 000 $ pour chacun des demandeurs est justifiée et raisonnable pour réparer l’humiliation, le mépris, la haine ou le ridicule dont ils ont fait l’objet.
Référence : [2017] ABD 14

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