jeudi 29 décembre 2016

Le paiement fait au créancier d'un créancier est libératoire pour le débiteur dans la mesure où son créancier en a profité

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

L'article 1557 C.c.Q. n'est pas bien connu de la communauté juridique. Celui-ci prévoit que "le paiement doit être fait au créancier ou à une personne autorisée à le recevoir pour lui", mais qu'il serait quand même libératoire s'il est fait à un tiers et qu'il profite au créancier. Selon l'Honorable juge Louis Lacoursière dans l'affaire Carre Singer inc. c. Neetri inc. (2016 QCCS 6153), le débiteur qui paie le créancier de son créancier est libéré de son obligation dans la mesure où le créancier original ne peut prouver l'existence d'un préjudice qui découle de ce paiement.



Dans cette affaire, le Syndic de faillite qui a repris l'instance recherche une condamnation en dommages contre la Défenderesse dans le cadre d'une action sur compte. Cette dernière plaide - entre autres arguments - qu'elle a payé une partie du montant dû à la Demanderesse aux créanciers de celle-ci et que ces paiements ont libératoires en application de l'article 1557 C.c.Q.

Le Syndic rétorque qu'un débiteur ne peut tout simplement choisir de payer les créanciers de son créancier et que les paiements effectués par la Défenderesse ne sont donc pas libératoires.

Après analyse de la question, le juge Lacoursière en vient à la conclusion que les paiements ont profité à la Demanderesse au sens de l'article 1557 C.c.Q. et sont donc libératoires, et ce même s'il accepte qu'un paiement doit normalement être fait au créancier. Fait important, le Syndic n'a pas prouvé que le paiement fait aux créanciers de la Demanderesse lui a causé un quelconque préjudice: 
[84] Le Tribunal retient d’abord de cet arrêt qu’il réitère le principe général que le paiement doit être fait au créancier. 
[85] Il retient aussi de ces autorités et de ces arrêts qu’il faut donner leur sens commun aux mots utilisés par le législateur au deuxième alinéa de l’article 1557 C.c.Q. En conséquence, le Tribunal estime que dès qu’une preuve satisfaisante permet de conclure que le créancier a profité d’une façon quelconque du paiement, ce dernier est libératoire. 
[86] En l’instance, même si le Tribunal concluait à une faute de Singer d’avoir dérogé à la règle générale de payer le créancier, soit Neetri, et malgré qu’il puisse être choquant que Singer ait choisi de payer des tiers créanciers à la place de Neetri, Singer peut toujours moduler le dommage en démontrant que les paiements ont profité, dans le sens usuel du mot, à Neetri. 
[87] En l’instance, il y a eu des affirmations, d’ordre plutôt général, voulant que Neetri eût pu utiliser à meilleur escient les paiements de Singer faits à des tiers. La preuve permet cependant de conclure que Neetri a profité des paiements. En effet, il n’est pas contesté que les paiements ont été faits à des créanciers de Neetri et le Syndic n’a pas fait une preuve satisfaisante d’un dommage qui aurait été causé à Neetri du fait de ces paiements. 
[88] Bref, le Tribunal est réticent à ajouter aux mots de l’alinéa 2 de l’article 1557 C.c.Q. un sens qu’ils n’ont pas, toute originale et intéressante que soit l’invitation de l’avocat du Syndic d’importer du Livre Sixième du Code civil du Québec sur les priorités et les hypothèques l’article 2644 C.c.Q. et d’intégrer au texte de l’article 1557 C.c.Q. la notion du respect d’une certaine équité entre les créanciers. 
[89] Il convient donc de soustraire de la réclamation du Syndic la somme de 93 142,42 $.
Référence : [2016] ABD 519

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