mercredi 24 août 2016

La distinction entre la présomption simple et l'obiter dictum

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Dans quelle mesure est-ce que les constatations ou conclusions factuelles faites dans un jugement doivent influer le juge saisi d'un litige différent entre les mêmes parties? C'est une des multiples questions que devait trancher l'Honorable juge Martin Castonguay dans l'affaire Hydro-Québec c. Churchill Falls (Labrador) Corporation Ltd. (2016 QCCS 3746). Dans ladite décision, le juge Castonguay distingue la présomption simple de l'obiter dictum.



Le litige dont était saisi le juge Castonguay dans cette affaire est particulièrement complexe, de sorte que je ne pourrais pas y rendre justice en quelques lignes. Retenons simplement que ce litige s'inscrit dans une lignée de différends entre les mêmes parties à l'égard de leurs obligations contractuelles réciproques relatives à l'hydroélectricité.

Or, Hydro-Québec fait valoir que plusieurs des questions factuelles soumises au juge Castonguay ont déjà été tranchées par des jugements précédents et qu'il existe donc une présomption applicable à celles-ci.

Pour sa part, Churchill Falls plaide que les conclusions factuelles faites dans les autres dossier n'ont que la force d'obiter dictum.

Après analyse, le juge Castonguay adopte la position plaidée par Churchill Falls sur la question et souligne que tout est question de contexte:
[1100] En fait, H.Q. voudrait que le Tribunal fasse siens ces divers commentaires, lesquels jouissent de la présomption simple de vérité quant à des constats factuels.

[1101] Voici les commentaires de l’auteur Léo Ducharme sur les présomptions simples :
« 554. La présomption simple a comme deuxième fonction de rendre certain un fait inconnu et souvent difficile à établir directement. Mais la certitude de ce fait, lorsqu’il s’agit des présomptions simples, n’est que relative. Elle est relative en ce sens qu’il est toujours possible à l’adversaire de détruire cette certitude par une preuve contraire. C’est ce qu’énonce le deuxième alinéa de l’article 2847 C.c.Q. en ces termes : « [c]elle qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire ».

555. Il ne faudrait pas croire cependant que toutes les présomptions simples ont la même force probante. En effet, si la vérité du fait présumé est toujours relative, il n’en demeure pas moins que cette relativité comporte divers degrés. Le fait présumé est plus ou moins certain suivant que la preuve contraire est plus ou moins facile à faire. Aussi, entre un fait présumé vrai parce que probable et un fait présumé vrai parce que dans l’opinion du législateur il doit être tenu pour absolument certain, comme dans le cas de la présomption de l’autorité de la chose jugée, il y a une infinité de degrés. Il en découle que de diviser les présomptions en deux catégories étanches, comme le Code le fait, ne rend pas exactement compte de la réalité. »

( Nos soulignés )
[1102] Dans l’arrêt de la Cour d’appel Air Canada, la juge Marie-France Bich établit, à juste titre d’ailleurs, une distinction entre cette présomption simple et un obiter dictum.
« [70] Cet avis n'a pas la portée de la présomption simple dont parlent parfois la doctrine et la jurisprudence pour décrire l'effet rattaché aux constats factuels posés par un jugement n'ayant pas l'effet de la chose jugée sur un autre litige, ou alors cette présomption a été réfutée en l'instance. Il s'agit d'un fait ordinaire dont le juge de première instance pouvait tenir compte, sans doute, et sur lequel il s'est d'ailleurs penché. On ne saurait toutefois, pour des raisons évidentes, en faire un élément concluant, puisque – et cela est capital – le contexte du litige dont le juge est ici saisi n'est pas le même, pas plus que la question à débattre. On contestait en effet devant le juge Newbould la délégation des activités de maintenance lourde d'Air Canada à Aveos : or, Aveos n'existe plus et les activités qui lui étaient confiées le sont maintenant à d'autres, qui, pour une large part, exercent à l'extérieur des régions de Montréal et de Winnipeg (et plus exactement à l'extérieur même du Canada). C'est de ce plus récent état de fait que l'on discute devant la Cour supérieure du Québec et sur lequel statue le jugement dont appel. En 2011, le juge Newbould pouvait bien, en obiter, opiner qu'Air Canada se conformait à la Loi en sous-traitant ses activités de maintenance lourde à Aveos (qui opérait dans les mêmes lieux) ou qu'Air Canada se livrait encore, à cette époque, à des activités de maintenance lourde à même sa maintenance en ligne, mais ce constat ne lie en rien le juge de l'espèce qui statue, en 2013, en fonction de la preuve administrée devant lui sur une tout autre cause d'action. »

( Références omises )

( Nos soulignés )
[1103] Il est acquis que la décision de la Cour suprême dans la cause portant sur le Reversion Act était centrée sur un tout autre problème que celui actuellement sous étude. D’ailleurs, c’est à dessein, que le Tribunal a relevé une erreur factuelle dans cet arrêt, justement pour démontrer qu’il ne s’agissait pas là, de la question en litige.

[1104] En fait, la Cour suprême, voulait-elle par cette expression tenir compte uniquement des Blocs Réservés ou encore d’une possible énergie excédentaire soit tel que plaidé actuellement par CF(L)Co ? Le Tribunal en doute fortement puisqu’il ne s’agissait pas de l’essentiel de ce débat.

[1105] Le Tribunal conclut que les commentaires de la Cour suprême dans l’arrêt portant sur le Reversion Act, ne constituent que des obiter dictum ne pouvant lier le Tribunal, sur ce que dit ou ne dit pas, l’ensemble contractuel liant CF(L)Co et H.Q. quant à la quantité d’énergie et de puissance à laquelle a droit cette dernière.

[1106] Quant à la décision du juge Goodridge dans la cause du Rappel de 800 MW, notamment son paragraphe 1275, il ne s’agit pas d’un constat factuel mais bien de sa décision dans l’interprétation du contrat. Encore une fois, bien qu’utile, cette décision ne saurait lier le Tribunal.

[1107] Le jugement du juge Silcoff de la Cour supérieure, confirmé par la Cour d’appel, que les parties identifient comme le « Good faith case » portait sur le désir de CF(L)Co de voir renégocier la tarification rétroactivement à 2009.

[1108] Dans cette affaire, toute la négociation entourant la conclusion de l’ensemble contractuel est analysée. Cet aspect s’apparente à notre situation.

[1109] On y fait grand état des risques financiers auxquels a consenti H.Q. en retour d’une tarification avantageuse. L’absence de ces mêmes risques pour CF(L)Co laquelle est propriétaire d’un ouvrage d’une valeur de 20 milliards de dollars selon la preuve.

[1110] La Cour d’appel s’attarde sur la clause « Take or Pay » essentielle pour le financement et conclut : « Cette clause prévoit l’achat par l’intimée de presque toute l’énergie produite par la Centrale garantissant ainsi à l’appelante les revenus suffisants pour rembourser sa dette ».

[1111] Ce constat lié au financement essentiel au projet contredit la prétention de CF(L)Co que lors des négociations, elle entendait se réserver de l’énergie excédentaire.
Référence : [2016] ABD 337

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