dimanche 8 mai 2016

NéoPro: L’impossibilité d’agir du demandeur prévue à l’article 177 C.p.c.

par Alexandra Quigley
Stagiaire en droit
Renno Vathilakis Inc.

L’article 177 du Code de procédure civile stipule qu’un demandeur ayant fait défaut d’inscrire dans le délai de rigueur est présumé s’être désisté. Cette sanction peut être levée par le Tribunal s’il est convaincu que le demandeur n’a pu inscrire dans le délai puisqu’il était dans l’impossibilité d’agir. Cet article modifie le droit antérieur, en transformant la présomption de désistement en présomption simple.


L’impossibilité d’agir est souvent invoquée afin de relever les parties du défaut de leur procureur d’inscrire dans le délai imparti. Tel est le cas dans Lapierre c. St-Félicien (Ville de) (2016 QCCA 627). 

Dans cette affaire, les appelants souhaitent être relevés des conséquences du retard, imputable à leur procureur, dans l’inscription de leur demande pour enquête et audition. 

La Cour résume les deux grandes étapes à suivre afin de déterminer s’il y a impossibilité d’agir, comme suit :
[11] La jurisprudence fait voir que l’analyse de la notion d’impossibilité d’agir doit se faire en deux temps. La première étape consiste à déterminer si la partie requérante a effectivement été dans l’impossibilité d’agir. Le juge Lamer dans l'arrêt St-Hilaire écrivait : 
[…] À cette fin, la Cour d’appel ne doit pas exiger de la part du plaideur la démonstration d’une impossibilité d’agir qui résulte d’un obstacle invincible et indépendant de sa volonté, mais il suffit que lui soit démontrée une impossibilité de fait, relative.
[12] Il faut aussi savoir que cette étape préliminaire ne se veut pas très exigeante, comme le fait voir l’opinion du juge Lamer sur la question :
[…] Il en résulte, à toutes fins pratiques, que rares sont les cas (à part ceux de déchéance suite à l’expiration des six mois prévus à l’art. 523) où la partie ne réussira pas à satisfaire ce préalable à l’exercice par la Cour de sa discrétion; si bien que c’est au deuxième stade de l’application de l’art. 523 C.p.c. que la Cour d’appel du Québec peut éviter les conséquences fâcheuses pour la bonne administration de la justice auxquelles autrement donnerait lieu ce divorce jurisprudentiel entre le mandant et son mandataire.
[13] Si l’erreur ou la négligence du procureur ne peut être imputée à la partie elle-même, il s’agit dans une seconde étape de se demander si l’erreur en question « a causé un préjudice à l’intimé ou encore si le fait de relaxer les conséquences de cette erreur lui causerait un préjudice ». Voyons ce qu’il en est. 
La Cour réitère les conclusions tirées dans l’arrêt Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Stever (2007 QCCA 257), affirmant que cette analyse doit être faite même si l’erreur du procureur des demandeurs est jugée grossière :
[16] En l’espèce, l'analyse de la juge tend à indiquer que la négligence grossière de l’avocat ne peut jamais constituer une impossibilité en fait d'agir pour la partie elle-même. Elle a tort. 
[17] Il est pourtant bien établi que toute erreur de l'avocat, qu'elle résulte de son ignorance ou de sa négligence, même grossière, permet tout de même à une partie de demander d’être relevée du défaut occasionné par son avocat fautif.
La première étape de l’analyse franchie, l’impact du désistement réputé sur les parties est minutieusement étudié par la Cour. 

La Cour d’appel cite, à cet effet, l’arrêt récent 8651817 Canada inc. c. Irwin McCubbin (2016 QCCA 329), prévoyant que prudence est de mise « lorsqu’il est possible de remédier aux conséquences de l’erreur de l’avocat dans injustice pour la partie adverse ». Dans cette affaire, la Cour accueille l’appel d’un jugement rejetant une requête pour être relevé du défaut de produire une défense et demande reconventionnelle dans le délai prévu à l’échéancier.

Cette seconde étape de l’analyse permet à la Cour d’appel de conclure que les parties étaient effectivement dans l’impossibilité d’agir :
[35] Dans l’affaire qui nous occupe, l’intimée ne souffre d’aucun inconvénient spécifique, outre de devoir répondre aux reproches allégués contre elle dans la demande introductive d’instance, comme elle s’y est d’ailleurs préparée à le faire. L’intimée n’a pas non plus soutenu en première instance ni en appel d’ailleurs que le recours des appelants n’était pas défendable ou prima facie peu sérieux.

[36] Finalement, le délai couru de 5 mois et demi en raison de l’erreur de l’avocat (3 mars 2014 au 19 août 2014, date de la requête pour être relevé du défaut), quoique indu, n’est pas particulièrement long. Aussi, l’intimée ne plaide pas que ce délai lui a occasionné un préjudice quelconque en la privant notamment d’un moyen de défense.

[37] De plus, et quitte à le redire, la preuve ne fait pas voir que le comportement des appelants à l’égard du déroulement de l’instance est teinté par une forme de désinvolture quelconque.

[38] Bref, selon ce qui précède, la requête des appelants aurait dû être accueillie.
Enfin, tel que l’affirme les Commentaires de la ministre au sujet de l’article 177 C.p.c., il existe, en pratique, une distinction importante entre la levée de la sanction pour impossibilité d’agir et la prolongation du délai pour inscrire. En effet, la levée de la sanction n’équivaut pas à une prolongation automatique du délai pour inscrire. Une telle prolongation sera seulement accordée si des motifs la justifiant sont établis.

Référence : [2016] ABD NéoPro 19

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