mardi 12 avril 2016

Un commencement de preuve, c'est également le témoignage de la partie adverse qui rend vraisemblable la version ou l'acte allégué

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

En matière de commencement de preuve, on parle souvent des écrits, mais rarement du témoignage de la partie adverse. En effet, dans la mesure où ce témoignage rend vraisemblable l'acte juridique allégué, on se qualifiera alors pour l'exception à la prohibition de la preuve testimoniale des actes juridiques de plus de 1 500$ ou de la prohibition de contredire les termes du d'un écrit. La Cour d'appel traitait récemment de cette exception dans l'affaire Mongrain c. Promotion de location d'équipements au PME inc. (2016 QCCA 594).



Les faits de l'affaire sont assez simples. Retenons les suivants:

En 1999, l'Intimée signe un bail d’une durée de cinq ans pour louer un local situé au 1400, rue Aubuchon, à Trois-Rivières, dans le but d’y implanter un centre de conditionnement physique. Ce bail contient un pacte de préférence en faveur de l’Intimée, compte tenu d’un investissement effectué par celle-ci dans l’immeuble afin d’y construire une piscine.

En août 2010, l'immeuble en question est vendu à une tierce partie. L'Intimée allègue que cette vente s'est faite en violation de son pacte de préférence et elle intente des procédures judiciaires.

Le jugement de première instance donne raison à l'Intimée, d'où le pourvoi des Appelants. Ces derniers plaident que le juge de première instance a erré en n'acceptant pas leur preuve à l'effet que l'Intimée avait implicitement renoncé au pacte de préférence.

Une formation unanime de la Cour d'appel composée des Honorables juges Gagnon, Morin et Émond infirme le jugement de première instance. Ce faisant, la Cour est d'avis que le juge de première instance a commis une erreur déterminante en ne trouvant pas un commencement de preuve dans le témoignage du représentant de l'Intimée:
[37]        Toutefois, nous ne partageons pas l’opinion du juge sur la pertinence des ressources financières de l’intimée. La preuve offerte ne visait pas à établir que, comme l’intimée n’avait pas les ressources financières pour répondre à l’offre d’achat de Troisvert, les appelants n’avaient pas besoin de lui envoyer l’avis écrit prévu au contrat. La preuve des difficultés financières de l’intimée cherchait plutôt à démontrer que c’est en raison de ces difficultés que Mélançon a demandé l’intervention de Boisvert et qu’il lui a laissé le champ libre, à tout le moins de manière tacite, pour acquérir l’immeuble, et ce, conformément à la défense de Marcel Mongrain datée du 23 octobre 2012. En ce sens, cette preuve était pertinente, mais le juge ne traite pas de la question sous cet angle dans sa décision. 
[38]        Cela étant dit, la Cour rappelle ici les articles 2863 et 2865 du Code civil du Québec : 
[...] 
[39]        Or, dans la présente affaire, le témoignage de Mélançon constitue un commencement de preuve qui permet d’étayer la prétention des appelants selon laquelle l’intimée aurait renoncé au pacte de préférence. 
[40]        Lors d’un interrogatoire tenu le 22 avril 2009, Mélançon déclare qu’il a décidé de contacter son cousin, Jean Boisvert, après que sa contre-offre de 200 000 $ aux appelants soit demeurée sans suite. Il lui dit qu’il a un droit de premier refus, qu’il n’a pas d’offre et qu’il est limité financièrement. 
[41]        Son cousin lui répond de ne pas faire d’autre offre et qu’il va lui-même en faire une. Mélançon décide alors de laisser faire Boisvert, en espérant qu’il réussisse à mieux négocier que lui avec les appelants. 
[42]        Par la suite, Mélançon attend des nouvelles de son cousin. Lors d’une communication téléphonique, ce dernier l’informe finalement qu’il a acheté l’immeuble. Quelques jours plus tard, Mélançon apprend que l’achat a été effectué pour 300 000 $. 
[43]        Mélançon tient les mêmes propos, lors du procès. Il déclare, par ailleurs, que vers le 11 juin 2008, Boisvert a visité l’immeuble en présence de lui-même et d’un représentant des appelants. 
[44]        Par ailleurs, il est approprié de rappeler ici ce qu’écrit le juge Pierre Labbé au paragraphe 8 de son jugement déjà cité plus haut. On y voit que selon Boisvert, son cousin Mélançon lui a suggéré d’acheter l’immeuble tout en gardant l’intimée comme locataire. Ce jugement n’a pas fait l’objet d’un appel et il n’y a pas eu, par ailleurs, de preuve venant contredire ce qui y est affirmé au paragraphe 8. 
[45]        En résumé, le 13 juin 2008, les appelants reçoivent de Troisvert, une entreprise qui appartient à Jean Boisvert, le cousin de Steeve Mélançon, une offre d’achat de 300 000 $ pour leur immeuble. Dans les semaines précédant cet achat, Boisvert visite l’immeuble en présence de Mélançon et d’un représentant des appelants; selon toutes les apparences, il s’agit d’une visite pré-achat. L’intimée ne manifeste alors aucun désir de procéder elle-même à l’achat, ce qui n’est guère surprenant puisque c’est Mélançon qui a introduit Troisvert dans le décor. 
[46]        Dans ces circonstances, il est normal pour les appelants de conclure que l’intimée a renoncé à utiliser le pacte de préférence. De fait, les appelants en sont tellement convaincus qu’ils n’hésitent pas à mentionner ce pacte de préférence dans l’acte de vente du 15 juillet 2008.
Référence : [2016] ABD 145

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