mercredi 13 avril 2016

La renonciation a un droit procédural par une partie ne peut justifier l’interdiction de l’exercice de ce même droit par la partie adverse

par Molly Krishtalka 
Renno Vathilakis Inc.

En matière de justice naturelle, c’est l’équité et non pas l’égalité qui prime. Ainsi, traiter les deux parties de la même façon n'est pas toujours un gage d'équité lorsqu'il en résulte la négation d'un droit fondamental. La Cour d’appel illustre bien les dangers de confondre ces deux principes fondamentaux dans sa décision récente rendue dans l’affaire Droit de la famille – 16784 (2016 QCCA 582).


Dans cette affaire, il était question de la garde de l’enfant X entre les parents. Durant l’instruction de l’affaire, l’honorable Alicia Soldevila soulevait certains aspects factuels du dossier sur lesquels elle avait des inquiétudes. À la fin de l’instruction, l'avocat de la mère indique à la Cour qu'il n'entend pas exercer son droit de donner une plaidoirie finale. Cela amène la juge de première instance de refuser  à l’avocate du père de plaider en retour.

Le père en appelle du jugement au motif que, inter alia, cette interdiction de plaider constitue un manquement à l’équité procédurale et à la règle audi alteram partem (le droit d’être entendu). La Cour d’appel, dans un jugement unanime, lui donne raison :
[7] Cependant, l'avocate de l’appelant et celle de l'enfant pouvaient à l’occasion de leur plaidoirie tenter une dernière fois de répondre aux inquiétudes de la juge. Il était du devoir de ces avocates, selon le mandat reçu de leur client, d’essayer de convaincre le tribunal qu'une ordonnance de garde exclusive n'était pas dans le meilleur intérêt de l’enfant en attirant son attention sur les éléments de preuve favorables à leur thèse. 
[8] Or, la juge leur a interdit de plaider au motif que leur confrère avait renoncé à l'exercice du même droit. Cette objection à l’exercice d’un droit procédural reconnu (art. 265 n.C.p.c. et 291 C.p.c.) est en l’espèce déraisonnable.
La règle audi alteram partem étant un principe de justice naturelle, l’enjeu ici n’est pas l’égalité entre les parties quant à l’exercice de leurs droits, mais plutôt l’équité procédurale accordée aux parties. Or, l’équité procédurale vise non seulement la protection des droits procéduraux des parties, mais aussi l’apparence de justice :
[9] C'est bien connu, non seulement justice doit être rendue, mais elle doit l'être visiblement. Dans l'arrêt Kane, le juge Dickson écrit : 
4. Le tribunal doit entendre équitablement les deux parties au litige afin de leur donner la possibilité [TRADUCTION] « de rectifier ou de contredire toute déclaration pertinente préjudiciable à leurs points de vue ». Board of Education v. Rice, à la p. 182; Local Government Board v. Arlidge, précité aux p. 133 et 141. 
Afin de protéger l’apparence de justice, la possibilité qu’une personne raisonnable y voit un préjudice suffit pour conclure à une violation de l’équité procédurale. Ici, la Cour était d’opinion que le refus d’entendre la plaidoirie de l’avocate du père a rendu le procès inéquitable à son encontre :  
[12] En l'espèce, l'appelant n’a pas été traité équitablement au moment où on lui a refusé le droit de présenter ses arguments après que l’enquête eut été déclarée close. Pourtant, cet exercice ne pouvait être que salutaire, voire déterminant, aux fins de trancher la question de l'intérêt de l'enfant dans le litige qui oppose ses parents.
Selon la Cour d’appel, seule une nouvelle instruction de l’affaire suffirait comme remède à cette violation.

Référence : [2016] ABD 147

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