jeudi 31 mars 2016

Un avocat peut être condamné solidairement avec son client en cas d’abus de procédure en appel

par Alexandra Quigley
Stagiaire en droit 
Renno Vathilakis Inc.

Un abus au sens de l’ancien article 54.1 C.p.c. (maintenant l’article 51 C.p.c.), ne résulte pas uniquement d’une utilisation de la procédure dans l’intention de nuire ou de mauvaise foi. Une utilisation excessive ou déraisonnable de la procédure peut également l’engendrer et ce, même s’il elle est faite sans mauvaise foi ou intention malicieuse. C’est ce qu’affirme la Cour d’appel dans Charland c. Lessard (2016 QCCA 452).



Dans cet arrêt, la Cour d’appel avait rejeté l’appel de l’appelante à l’encontre d’une décision de première instance rejetant sa requête en oppression et son action dérivée et la condamnant à des dommages-intérêts. La Cour avait aussi réservé sa compétence en vue de déterminer si l’appel était abusif. Elle avait ensuite donné la chance à l’appelante de se faire entendre en soumettant un exposé d’au plus dix pages, conformément aux règles de pratique de la Cour.

L’appelante a plutôt déposé un mémoire comprenant des renvois à la procédure introductive d’instance ré-amendée de 114 pages et à l’inscription en appel de 35 pages. Le mémoire comportait donc près de 200 pages. La Cour a dû déterminer si cela constitue une utilisation déraisonnable ou excessive de la procédure.

La Cour étudie le comportement de l’appelante selon le critère de la personne prudente et diligente, et conclut :
[12] En usant d’un artifice qui ne pouvait être décelé par le greffe sans effectuer une analyse exhaustive du contenu de son mémoire, c’est-à-dire un procédé de renvois à la procédure introductive d’instance réamendée de 114 pages pour énoncer les faits et à ’inscription en appel amendée de 35 pages pour reprendre ses moyens d’appel et les questions en litige, l’appelante a déjoué les règles. Elle a produit et fait un exposé tenant sur près de 200 pages alors que les Règles de la Cour d’appel énoncent que la partie appelante doit, dans un mémoire d’un maximum de 30 pages4 , « expose[r] succinctement les faits » 5 et « expose[r] de manière concise les questions en litige » 6 . Elle ne fait référence au jugement de première instance qu’à quelques occasions. Elle a plutôt tenté de refaire l’entièreté du débat déjà fait en première instance, entraînant les intimés dans un appel démesuré et inutilement coûteux. 
[…] 
[14] De l’avis de la Cour, une telle façon de faire, en plus d’être non respectueuse des règles de pratique de la Cour, constitue une utilisation déraisonnable et excessive de la procédure d’appel.  
[15] Considérant l’intérêt financier relativement limité du litige — la valeur des actions convoitées était d’à peine 60 000 $ — et la finalité de la demande qui ne soulevait pas de véritables questions de principe, force est de constater que l’appel était un exercice empreint d’ambition excessive et d’insouciance, qui a entraîné les intimés dans un débat disproportionné et parfois totalement inutile.  
[16] L’appelante invoque sa bonne foi pour justifier son utilisation excessive, déraisonnable et négligente de la procédure. Il s’avère ici difficile, dans les circonstances particulières de l’affaire, d’imputer à l’appelante l’usage abusif de la procédure d’appel qui découle du choix rédactionnel de ses avocats.  
[17] Il est par ailleurs impossible pour cette Cour de se prononcer sur les dommages qu’ont pu encourir les intimés puisque la preuve au dossier ne permet pas de les fixer.  
[18] Vu ce contexte, il paraît opportun de déclarer l’avocat de l’appelante solidairement responsable du paiement des dépens accordés aux intimés. 
(nos soulignements)
La Cour se fonde sur les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Young c. Young - qui affirment que « lorsque la procédure dans lesquelles l’avocat a agi ont été marquées par la production de documents répétitifs et non pertinents, de requêtes excessives » sa condamnation personnelle aux dépens peut être de mise – afin de condamner l’avocat de l’appelante solidairement au paiement des dépends octroyés aux intimés en appel.

Référence : [2016] ABD 130

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