mardi 3 novembre 2015

L'importance de démontrer l'effet préjudiciable d'une transaction dans une action en inopposabilité

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Une des conditions fondamentales de l'action en inopposabilité est la démonstration du fait que la transaction attaquée cause préjudice au créancier demandeur. Pour ce faire, il faut habituellement plus qu'une simple preuve d'appauvrissement, encore faut-il démontrer que cet appauvrissement et la transaction attaquée sont injustifiés. L'affaire Location A et C inc. c. Ali (2015 QCCS 5012) illustre bien ce principe.



Dans cette affaire, la Demanderesse a intenté une action en inopposabilité contre les Défendeurs visant à se faire déclarer inopposable la vente d’un immeuble. À l'appui de cette action, elle allègue qu’il s’agit d’un transfert de propriété pour un prix inférieur à l’évaluation municipale permettant ainsi aux Défendeurs d’échapper à leurs obligations envers elle et de rendre la Défenderesse insolvable.

La Défenderesse conteste le recours et allègue avoir agi de bonne foi et ne pas avoir conclu l’acte d’aliénation en fraude des droits de la Demanderesse.

Saisi de cette affaire, l'Honorable juge Clément Trudel en vient à la conclusion que la Demanderesse ne s'est pas déchargée de son fardeau de prouver que la vente de l'immeuble lui a été préjudiciable. En effet, la preuve a démontrée que n'eut été de la vente, le créancier hypothécaire aurait exercé sa garantie de toute façon:
[45]        Qu’en décembre 2012, 9137 ait aliéné l’immeuble, nul ne le conteste, non plus qu’elle ait été insolvable au moment de l’aliénation et Mme Kara Ali connaissait parfaitement cette situation. L’immeuble constituait le seul actif véritable de 9137. 
[46]        Il est certain que n’ayant pas été payée de sa créance, Location a matière à se plaindre. Par ailleurs, il faut s’interroger à savoir si la vente visée lui a causé un prejudice. 
[47]        Concernant l’acte préjudiciable au créancier, les auteurs Jobin et Vézina écrivent ce qui suit : 
« 909 – Nature de l’appauvrissement – L’acte attaqué, qu’il y ait ou non insolvabilité du défendeur, doit avoir eu pour effet d’appauvrir le patrimoine de ce dernier, c’est-à-dire de faire sortir un actif qui aurait pu y être saisi par le créancier. Cet appauvrissement doit donc être de nature positive. Le simple défaut de s’enrichir ne donne pas ouverture à l’action en inopposabilité, même s’il peut, comme nous l’avons vu précédemment, justifier le recours oblique. Le débiteur ne doit pas être simplement resté passif : il doit avoir manœuvré pour nuire à son créancier.  
[…]  
L’acte d’appauvrissement peut provenir d’un contrat à titre gratuit ou à titre onéreux. Le fait d’avoir obtenu une juste contrepartie lors de l’aliénation d’un bien ne justifie pas nécessairement de conclure à l’absence de préjudice, puisque la disparition de ce bien peut avoir pour effet de fragiliser le patrimoine du débiteur, en particulier s’il était libre d’hypothèque ou qu’il était susceptible de générer des revenus. » 
[48]        Selon Location, l’acte d’aliénation doit être révoqué parce que 9137 a fait sortir de son patrimoine l’immeuble pour une contrepartie insuffisante aggravant ainsi son état d’insolvabilité au détriment de ses créanciers, qui auraient pu le saisir. Elle allègue plus précisément que le prix de vente (84 000 $) est nettement inférieur à son évaluation municipale qui s’établit à 182 500 $ selon la « Confirmation de taxes » émanant de la municipalité de St-Calixte en date du 12 février 2014. 
[...]
[51]        Il faut également garder à l’esprit qu’en décembre 2012, l’immeuble était grevé d’une hypothèque pour garantir notamment une dette se chiffrant alors à 56 999,35 $ et les taxes. 
[52]        Face à la preuve disponible et sans pour autant statuer sur la valeur exacte de cette propriété, en décembre 2012, le Tribunal se doit de conclure que la vente a été consentie à titre onéreux et que le prix payé paraît supérieur à la valeur de l’immeuble. 
[53]        Dans de telles circonstances et à tout bien considérer, le Tribunal estime que n’eût été de l’aliénation en faveur de Mme Kara Ali, la créancière hypothécaire aurait réalisé sa garantie et les créanciers chirographaires, y compris Location, n’auraient rien reçu. Grâce à l’intervention de celle-ci, certains d’entre eux ont pu toucher au moins une partie, si minime soit-elle, du prix de vente. L’aliénation n’entraînait donc en soi aucun préjudice.  
[54]        En conséquence, le Tribunal, prenant en compte l’ensemble de la preuve disponible, juge que l’acte attaqué n’a pas constitué un acte d’appauvrissement du patrimoine de 9137, n’a pas occasionné ni aggravé son insolvabilité, ni diminué, ni fragilisé la valeur économique de son patrimoine.
Référence : [2015] ABD 436

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