mercredi 14 octobre 2015

Un avocat qui a eu accès à des renseignements confidentiels - même s'il n'en a pas pris connaissance - peut être disqualifié

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Lorsqu'on parle de disqualification d'un avocat en raison de son accès à des renseignements confidentiels, ce sont les apparences et non pas la connaissance effective de l'avocat qui importe. Ainsi, comme le souligne avec justesse l'Honorable juge Donald Bisson dans l'affaire Gestion Franjack inc. c. Industries Beimol inc. (2015 QCCS 4678), on ne peut contester une requête en disqualification en faisant la preuve que l'avocat qui avait accès à des informations confidentielles n'en a pas pris connaissance.



Dans cette affaire, le juge Bisson était saisi d'une requête en disqualification du procureur de la Demanderesse. La Défenderesse plaide que que ce dernier aurait déjà représenté la Défenderesse pour une question connexe, i.e. une question de préparation de contrat pour un montage financier.

Après en être venu à la conclusion que le critère de la connexité entre les deux mandats est satisfait, le juge Bisson se tourne vers la question de l'accès à de l'information confidentielle.

Le juge Bisson souligne qu'il n'a aucune hésitation à croire le témoignage du procureur de la Demanderesse quand il témoigne qu'il n'a pris connaissance d'aucune information confidentielle. Malheureusement pour la Demanderesse, le juge Bisson souligne également que ce n'est pas là le test pertinent. Dans la mesure où le procureur avait accès à l'information et qu'aucune mesure de protection n'a été mise en place, il faut conclure à la disqualification:
[24]        Ici, dans les faits, le Tribunal accepte la preuve de Me Trudeau selon laquelle il n'a rien lu, il n'a rien regardé et que rien à prime abord aujourd'hui n'est pertinent pour le fait de mener son dossier.  Cependant, compte tenu du fait qu'il n'y a ici aucune mesure qui a été prise, aucune muraille de Chine, aucune protection ou instruction pour empêcher l’accès aux renseignements confidentiels, aucun mécanisme faisant en sorte qu'un membre du public raisonnablement informé serait persuadé du contraire, le Tribunal est d'avis ici que Me Trudeau doit être déclaré inhabile.  Me Trudeau et Me Robillard partagent le même cabinet, même s'ils sont en société nominale, le même espace physique, ils ont la même adresse physique, ils ont la même réceptionniste et le même numéro de télécopieur, les courriels ont été effectivement communiqués à Me Trudeau. 
[25]   Le critère de la Cour suprême du Canada est sans équivoque.  Le fait que Me Trudeau ait lu ou non les renseignements n’est pas pertinent; ils les a reçus pendant deux mois sans indiquer quiconque qu’il ne pouvait pas accepter le mandat ou qu’il n’avait pas le temps de le réaliser, ni même sans mettre sur place des mesures permettant à Beimol de penser qu’il n’y aurait plus accès.  Ainsi, toute la jurisprudence plaidée par Me Trudeau n’est aucunement pertinente, puisqu’elle vise des cas où l’avocat n’a reçu aucun renseignement confidentiel dans les faits, que ce soit les décisions de la Cour supérieure Empire Life Insurance c. Thibault, Blais c. Garderie du centre éducatif Manos Inc. et Delmaire c. L'Archevêque et également l’arrêt Montage et découpage Promag Inc. c. Groupe Montech Inc. de la Cour d'appel 1998.  Toutes ces décisions visent des cas où l’avocat a repoussé dans les faits la présomption et a démontré qu’on ne lui avait rien communiqué du tout.  Ici, l'information confidentielle connexe a été communiquée à Me Trudeau et même s'il ne l'a pas lue, dans les faits et en l'absence de tout mécanisme de protection, il n’y a pas dans ces circonstances, pour un membre du public raisonnablement informé, persuasion que ces renseignements ne seront pas utilisés au détriment du client et que l'avocat n'a pas appris des faits confidentiels relatifs à l'objet du litige. 
[26]   En d'autres mots, ce que Me Trudeau aurait pu faire, c'est dès qu'il s'est rendu compte qu'il ne pouvait pas travailler dans le dossier, après la rencontre initiale ou après le courriel initial, même s'il était très occupé, était de dire: « Écoutez, ne m'envoyez plus ces courriels, je n'aurai pas le temps de travailler dans le dossier, je ne peux accepter le mandat, laissez Me Robillard s'en occuper, s.v.p. ne me copiez plus sur ces documents » ou même s'il était pris à Joliette et était très occupé, il aurait pu demander à son adjointe ou quelqu'un de son cabinet de faire ce genre de représentations.  Ici, l'échange de courriels débute en mars 2014 et s’étend du 1er avril au 28 avril 2014, on parle donc d'un mois complet, sans la mise en place d'un mécanisme de protection. 
[27]   Il ne suffit pas de venir dire un an plus tard qu'on n'a jamais lu les documents. 
[28]   Le Tribunal le croit, mais cela ne rencontre pas le test de la Cour suprême du Canada.  Me Trudeau doit donc être disqualifié d’agir pour Gestion Franjack Inc. dans le présent dossier intenté contre Beimol.
Référence : [2015] ABD 408

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