samedi 24 octobre 2015

Par Expert: La Cour supérieure rappelle l'importance du critère de la nécessité à l'égard des expertises

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Il est devenu tellement habituel de produire des expertises dans presque tous les dossiers que l'on oublie souvent que la nécessité est un des critères de recevabilité d'une preuve par expert. Qui plus est, l'inclusion des frais d'expert dans les dépens est tributaire de son utilité. Dans l'affaire Jean-Pierre c. Benhachmi (2015 QCCS 5053), l'Honorable juge Claude Champagne rappelle que certaines choses relève du gros bon sens et ne nécessitent pas d'expertise.



Dans cette affaire, le juge Champagne est saisi d'un différend entre voisins. La trame factuelle importe peu, mais retenons que le Demandeur allègue qu'une fausse plainte de menace de mort a été faite contre lui.

La Ville de Laval - une des Défenderesses dans le dossier - présente une preuve d'expert pour appuyer sa prétention à l'effet que son intervention policière a respecté les règles de l'art et était justifiée.

Même si rejette le recours contre la Ville avec dépens, le juge Champagne n'inclut pas les frais de cette expertise. En effet, il indique que celle-ci n'était certes pas nécessaire dans les circonstances:
[67]      De son côté, Ville de Laval a présenté une preuve d’expert dans le but de démontrer que l’intervention qu’a menée son service de police respectait les règles de l’art en semblable matière. Son expert, un policier chevronné maintenant à la retraite, a conduit une longue enquête auprès de tous les policiers impliqués dans l’affaire avant de rédiger son rapport. Lors du procès, il a été présent à toutes les étapes de celui-ci et il a longuement témoigné. Le compte qu’il a fait parvenir à Ville de Laval et que celle-ci réclame de Jean-Pierre dans l’éventualité où sa poursuite est rejetée, fait état d’un montant de 46 311, 66 $ 
[68]      Dans un arrêt récent mais dont le contexte s’écarte du nôtre, la Cour d’appel écrivait sous la plume du juge Émond : 
« [108] Je reconnais que la preuve par expert est, de façon générale, une question de fait laissée à l’appréciation du juge de première instance.  
[109] Toutefois, un juge ne devrait pas, sauf circonstances exceptionnelles, avoir recours à une telle preuve lorsqu’il est appelé à interpréter un acte juridique ou un contrat, à moins bien entendu que cette interprétation emporte des questions scientifiques ou techniques revêtant une certaine complexité, comme l’explique l’auteur Jean-Claude Royer :  
466 - Utilité de l'expertise – La première condition préalable à la recevabilité d'une expertise est que celle-ci soit de nature à aider le tribunal à comprendre les faits et à apprécier la preuve. Il faut donc que le litige porte sur des questions scientifiques ou techniques d'une certaine complexité. Lorsque les faits sont simples et que le juge est aussi capable que l'expert de les comprendre et de déduire les conclusions qui en découlent, l'expertise n'est pas admissible. […] Une opinion n’est cependant ni nécessaire, ni pertinente pour décider de la question de droit que le tribunal doit trancher […]  
475 – Question de droit – Crédibilité d’un témoin – L’opinion du témoin doit cependant rester dans les limites de son expertise et ne pas empiéter sur ce qui est du ressort exclusif du juge. Aussi, les tribunaux sont très réticents à recevoir une opinion légale d’un expert ou son avis sur la crédibilité d’un témoin. […]. » 
[Références omises] 
[69]        Il ne fait pas de doute que cette Cour a besoin de recevoir une preuve d’expert afin d’établir l’existence de même que l’importance des dommages psychologiques que Jean-Pierre veut obtenir. Il n’en va pas nécessairement de même quant à l’intervention policière de Ville de Laval. En effet, nul n’a besoin d’être un expert en techniques policières pour comprendre qu’un appel d’urgence faisant état de menaces de mort et d’agression avec une arme à feu entraînera nécessairement une intervention d’envergure. 
[70]        Le Tribunal n’affirme pas que la preuve d’expert ici était complètement inutile et non nécessaire. L’expert a donné des explications intéressantes sur les différences entre l’intervention pratiquée dans ce dossier et les cas où l’escouade tactique serait intervenue. Cependant, on pouvait deviner que dans un cas comme dans l’autre, l’opération policière serait d’envergure. 
[71]        Il y a lieu d’ajouter à ce qui précède que la facture de l’expert en intervention policière est très élevée. Cette Cour n’inclura pas dans les dépens les frais de l’expert Lefebvre.
Référence : [2015] ABD Expert 43

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