vendredi 4 septembre 2015

Le Tribunal des droits de la personne a compétence pour entendre une affaire fondée sur la nature discriminatoire d'une disposition d'une convention collective

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà discuté de la grande complexité de l'appareil administratif canadien et québécois, particulièrement lorsqu'il est temps de déterminer quel tribunal a compétence exclusive sur un sujet donné (ce qui est ironique étant donné que le but du système administratif est d'être plus accessible...mais c'est une discussion pour un autre jour). Dans l'affaire Université de Sherbrooke c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2015 QCCA 1397), la Cour d'appel traitait d'un possible conflit de compétence et en vient à la conclusion que le Tribunal des droits de la personne a compétence pour entendre un recours qui allègue qu'une disposition d'une convention collective est discriminatoire.



Dans cette affaire, la Cour est saisie du pourvoi des Appelantes à l'encontre d'un jugement du Tribunal des droits de la personne qui a déclaré que les deuxième et troisième alinéas de l’article 7-6.04 de la convention collective signée le 4 juillet 2006 par les parties constituaient de la discrimination fondée sur l’âge. Le Tribunal a en conséquence condamné les Appelantes à payer 557 558 $ à titre de dommages matériels, 25 000 $ à titre de dommages moraux et 10 000 $ à titre de dommages punitifs.

Les Appelantes plaident, parmi leurs arguments, que la Commission des relations du travail avait compétence exclusive sur la question en raison de la présence d'une convention collective.

L'Honorable juge Jean Bouchard, au nom d'une formation unanime, rejette la prétention des Appelantes. Il souligne que lorsque la discrimination alléguée prend sa source dans la négociation et l’insertion d’une clause dans une convention collective plutôt que dans son interprétation, son application ou sa mise en œuvre, le Tribunal des droits de la personne peut être valablement saisi du litige:
[29]        Notre cour, sous la plume du juge Gascon, a rejeté cette prétention dans l’arrêt Audigé en faisant remarquer qu’un recours en vertu de l’article 47.2 du Code du travail se révèle pour le plaignant peu intéressant, pour ne pas dire illusoire lorsque, comme en l’espèce, les plaignants prétendent non pas que la convention collective a été violée, mais bien qu’elle est discriminatoire en raison de la conduite du syndicat à la table de négociations, étant entendu que cette conduite ne peut faire l’objet d’un grief : 
[39] Dans l’arrêt Morin, la Cour suprême infirme l'arrêt antérieur de notre Cour et conclut que l'arbitre de griefs n'a pas compétence exclusive pour traiter d'un litige qui met en cause un processus de négociation et l'insertion d'une clause discriminatoire dans une convention collective. Particulièrement, la Cour suprême le souligne, dans un contexte où l'intérêt du syndicat négociateur apparaît opposé à celui du salarié qui se plaint des clauses négociées à son détriment.  
[40]      En l'espèce, les allégations de la procédure du Salarié devant la Cour du Québec s'attaquent directement au processus de négociation et à l'inclusion de la clause 19.03 à la convention collective. À mon avis, cela cadre précisément avec le contexte que la Cour suprême a jugé non exclusif à la compétence de l'arbitre de griefs dans l'arrêt Morin.  
[…]  
[42]      L'on constate ainsi que l'assise de la réclamation n'est pas une question d'interprétation, d'application, d'administration ou d'exécution de la convention collective. Le Salarié s'attaque plutôt à la formation et à la négociation de la convention collective et, au premier chef, à l'insertion dite intentionnelle et illicite d'une clause discriminatoire à son endroit.  
[43]      Sous ce rapport, je suis d'accord avec l'affirmation du Salarié voulant qu'un recours de sa part contre son Syndicat sous l'égide des articles 47.2 et suivants C.t. soit illusoire dans les faits, comme c'était du reste le cas dans l'arrêt Morin.  
[…]  
[45]      Comme le note avec justesse le Salarié, l'existence d'une forme de mauvaise foi, d'arbitraire, de discrimination ou de négligence grave du Syndicat à son endroit dans le refus de porter ce grief à l'arbitrage conditionne l'ouverture à un recours sous l'égide des articles 47.2 et suivants C.t. En l'espèce, cette prétention se révèle peu intéressante, pour ne pas dire vraisemblablement vouée à l'échec.  
[46]      Dans ces circonstances, seuls le Tribunal ou la Cour du Québec offrent un recours valable au Salarié. Pour calquer les termes choisis par la juge en chef McLachlin dans l'arrêt Morin, tant le Tribunal que la Cour du Québec présentent une « plus grande adéquation » avec le recours envisagé par le Salarié que la CRT (aux termes des articles 47.2, 114 et 116 C.t.) (ou éventuellement l'arbitre de griefs si l'article 47.3 C.t. venait à s'appliquer). 
[30]        En conclusion, j’estime que la juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant que le Tribunal des droits de la personne avait compétence pour entendre l’affaire. Ce premier moyen d’appel doit échouer.
Référence : [2015] ABD 354

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