mercredi 12 août 2015

Une décision récente prononce l'irrecevabilité d'une défense en vertu de l'article 165 C.p.c. J'exprime mon désaccord

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Si vous croyez que je suis pointilleux sur l'application du droit, vous avez absolument raison. Le présent billet vous en convaincra d'autant plus. En effet, dans l'affaire Thibodeau c. Gestion Patrick Alarie inc. (2015 QCCS 3667), la Cour supérieure s'autorise de l'article 165 (1) C.p.c. pour rejeter une défense pour cause de litispendance. Avec égards, je suis d'avis que l'article 165 ne permet pas un tel résultat.
 

Dans cette affaire, l'Honorable juge Lukasz Granosik est saisi d'une requête des Demandeurs en irrecevabilité de la défense de la Défenderesse au motif que celle-ci est identique à l'action qui a été déposée dans un dossier connexe entre les parties.
 
Le juge Granosik décrit comme suit la trame factuelle:
[1]        Le cas est de plus en plus fréquent, voire classique: l'acheteur est mécontent car il croit avoir trop payé sur la foi de représentations prétendument inexactes ou dolosives des vendeurs et retient les paiements restants, en attendant le dénouement du conflit. De leur côté, les vendeurs exigent d'être payés au complet, conformément à la lettre de la transaction d'achat.  
[2]         En l'espèce, l'acheteur entame une poursuite à Montréal, le lieu de formation du contrat, afin de diminuer le prix convenu, réduction qu'il estime à environ 370 000 $. Les vendeurs ripostent dans le district d'Iberville, le lieu où se trouvent l'acheteur et l'entreprise visée par la transaction commerciale, par une action visant à recevoir le solde du prix de vente de 180 000 $. 
[3]         L'acheteur, en défense à cette action, présente les mêmes arguments que ceux qui fondent le recours intenté à Montréal. Sa requête introductive d'instance est d'ailleurs  la pièce principale de sa défense à l'action des vendeurs.
Voulant éviter les dédoublements, le juge Granosik ordonne la réunion des deux recours, mais rejette également la défense pour cause de litispendance:
[7]         Il y a lieu de rejeter une défense pour cause de litispendance, lorsqu'elle est de la nature d'une demande reconventionnelle et fait double emploi avec une action déjà intentée. Dans des cas similaires à celui qui nous occupe en l'occurrence, les tribunaux ont rejeté des procédures au motif de litispendance. Ce doit être aussi le cas en l'espèce. 
Commentaire

Avec égards, je suis d'avis que l'article 165 ne permet pas le rejet d'une défense. D'abord parce que son libellé indique clairement qu'il ne s'applique qu'à des demandes en justice:
165. Le défendeur peut opposer l'irrecevabilité de la demande et conclure à son rejet [...]
D'ailleurs, je vous soulignais dans un billet NéoPro du 27 juillet 2014 que le nouvel article 168 du Code de procédure civile changera cet état de droit en indiquant que l'irrecevabilité pourra viser la demande et la défense.
 
Avant l'entrée en vigueur du nouveau Code, le seul moyen d'obtenir le rejet d'une défense est l'article 54.1 C.p.c. Le résultat aurait possiblement été le même, mais le test en vertu de l'article 54.1 C.p.c. est different.

Référence : [2015] ABD 319

2 commentaires:

  1. L'article 184 Cpc ne permet-il pas de soulever un moyen d'irrecevabilité à l'encontre d'une défense?

    "184. Une partie peut soulever des moyens préliminaires à l'encontre d'une défense ou d'une réponse. Elle le fait dans le délai convenu par les parties ou, à défaut, établi par le tribunal, après les avoir dénoncés par écrit à la partie adverse."

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  2. Bon point cher anonyme.

    Certaines décisions - se fondant sur l'article 184 - ont accepté l'application du paragraphe 165 (4) à une défense (même là je ne suis pas d'accord), mais jamais - à ma connaissance - du paragraphe 165 (1) comme c'est le cas ici. Dans Développements York-Hannover ltée c. Aldo Shoes inc (J.E. 92-415) par exemple, l'Honorable juge Lyse Lemieux indiquait:

    "Cet article indiquait la procédure à être utilisée pour soulever des moyens de droit à l'encontre d'une défense ou d'une autre pièce de plaidoirie. Il s'agissait de l'ancienne inscription en droit totale ou partielle. Or, ce moyen procedural n'existe plus. Le droit substantive n'est pas change par le nouvel article 184. Il demeure le même. Les mots "en autant qu'elles sont applicables" signifient qu'un demandeur peut recourir à certains moyens préliminaires à l'encontre d'une défense. C'est ainsi, par exemple, que l'article 184 C.p.c. permet d'appliquer l'article 165 (4) à l'encontre d'une défense, mais cette disposition ne permet cependant pas de faire rejeter une défense pour cause de litispendance."

    La Requête pour permission d'en appeler de ce jugement a été rejeté (C.A., 1992-03-24, 500-09-000309-922).

    Malgré le libellé en apparence large de l'article 184 C.p.c., je suis d'avis qu'il ne peut s'appliquer à plusieurs articles dans le chapitre des moyens préliminaires parce qu'ils sont incompatibles avec une défense. C'est le cas selon moi des article 163 (déclinatoire), 164 (absence de competence) et 165 (irrecevabilité).

    Pour ce qui est de l'irrecevabilité spécifiquement, pourquoi le législateur aurait-il autrement indiqué que les articles 75.1 et 75.2 jadis et 54.1 aujourd'hui s'appliquent à toute procedure, alors que l'article 165 ne s'applique qu'à la demande?

    Du moins c'est mon point de vue.

    Bonne journée,

    Karim Renno

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